Soppelsa D1, Millet G2, Degache F3, Saubade M4, Basset P5, Gremeaux V2,4
1 Medical first-year master student, Faculty of Biology and Medicine, University of Lausanne, Lausanne, Switzerland
2 Institute of Sport Sciences, Faculty of Biology and Medicine, University of Lausanne, Lausanne, Switzerland
3 School of Health Sciences, University of Applied Sciences and Arts Western Switzerland, Lausanne, Switzerland
4 Swiss olympic medical center, Division of Physical Medicine and Rehabilitation, CHUV, 1011 Lausanne
5 Ultrasportsscience Foundation France-USA

Abstract

Background: The development of Mountain Ultra Marathon (MUM) raises several questions to health professionals, regarding the short or long-term consequences on the health of participants.
Objective: to present the main acute and long-term effects of MUM on the main health issues usually studied among runners.
Methods: Pragmatic review of the literature, including grey literature from the medical staff of the races, notably the Ultra-trail du Mont Blanc.
Results: Concerning the acute effects, many studies show a severe transient inflammatory state, in particular related to eccentric loads encountered in downhill running, sometimes leading to an extracellular accumulation of water and to a muscular or even renal functional alteration, worsened when NSAIDs are used during the race. Structured and specific training seems to reduce this risk. Transient impairment of cardiac function and cardiac enzyme elevation are often discussed, but not related to symptoms in healthy subjects. In the long term, osteoarticular symptoms appear to be primarily related to a previous traumatic injury, such as ACL tear, rather than to the training load. Cardiac adaptations are similar to those of the “athlete’s heart” described in endurance athletes, which can lead to an increased risk of arrhythmias, usually benign, when training planning is too intensive. This point seems crucial to avoid over-training, and sometimes addiction to sport, whose prevalence seems worrying in this environment.
Discussion: MUM is characterized by a long exercise duration but low intensity, which limits the duration of acute damage. The effects of the inflammation state that could become chronic in case of accumulation of races remain uncertain for health. New longitudinal studies are therefore needed, including behavioural and psychological dimensions.

Résumé

Contexte: le développement des courses d’ultra-trail soulève plusieurs questions aux professionnels de la santé, concernant les conséquences à court ou long terme sur la santé des pratiquants.
Objectif: présenter les principaux effets à court et long terme de l’ultra-trail sur les principales problématiques de santé habituellement étudiés chez les coureurs.
Méthodes: revue pragmatique de la littérature, incluant la littérature grise issue du personnel médical des courses, notamment l’Ultra-trail du Mont Blanc.
Résultats: concernant les effets aigus, de nombreux travaux montrent un état inflammatoire sévère transitoire, en particulier lié aux charges excentriques rencontrées en descente, conduisant parfois à une accumulation extracellulaire d’eau et à une altération fonctionnelle musculaire, voire rénale, d’autant plus lorsque des AINS sont utilisés lors de la course. Un entrainement structuré et spécifique semble réduire ce risque. L’altération transitoire de la fonction cardiaque et l’élévation enzymatique cardiaque sont souvent discutées, mais non reliées à des symptômes chez les sujets sains. Sur le long terme, les symptômes ostéo-articulaires semblent être principalement liés à une lésion traumatique antérieure, telle qu’une déchirure du LCA, plutôt qu’à la charge d’entraînement. Les adaptations cardiaques sont similaires à celles du «cœur de l’athlète» décrit chez les athlètes d’endurance, pouvant conduire à un risque accru d’arythmies, le plus souvent bénignes, lorsque la planification de l’entrainement est trop intensive. Ce point semble crucial pour éviter le surentraînement, et parfois l’addiction à l’activité sportive, dont la prévalence semble préoccupante dans ce milieu.
Discussion: l’ultra-trail est caractérisé par une durée d’exercice longue mais de faible intensité, ce qui limite la durée des dommages aigus. Les effets de l’état d’inflammation qui pourrait se chroniciser en cas d’accumulation de courses restent incertains pour la santé. De nouvelles études longitudinales sont donc nécessaires, y compris pour les composantes comportementales et psychologiques.

1. Introduction

Les courses d’ultra-marathon de montagne (UMM), plus couramment appelées «ultra-trail», viennent du trail, la course nature ou encore la course en sentier, contrairement aux courses sur route. Trail est l’abréviation de l’anglais «trail running», qui correspond à la course à pied dans la nature. Depuis quelques années, le trail rencontre, en Suisse, un succès exponentiel avec 350 000 à 500 000 pratiquants actuellement dont environ 100 000 traileurs assidus [1]. Le nombre de courses officielles étaient de 2500 en 2016. Aux Etats-Unis, le nombre de traileurs est passé de 4,5 à 6 millions entre 2006 et 2012 [2].
Les épreuves se différencient par leur nombre de kilomètres, de dénivelés positifs et négatifs, du type de terrain et du lieu. La fédération International Trail Running Association (I.T.R.A) a mis à jour une classification pour ce type de courses [3] (Table 1).
Les effets positifs de la pratique du sport et de la course à pied sont bien connus. Cependant, lors d’efforts prolongés, les bienfaits du sport sont de plus en plus questionnés quant aux risques courus par les ultra-traileurs. Quels sont les effets à court et à long terme? Les distances proposées sont-elles trop élevées et font-elles courir un risque pour la santé des pratiquants? Est-ce que les athlètes suivent une préparation structurée et personnalisée? Est-ce que le temps de récupération est suffisant? Quelles sont les motivations des coureurs? Quelles sont leurs limites?
L’objectif de cet article est de présenter les principaux effets recensés à court et long terme de l’UMM sur la santé physique et mentale à travers une revue pragmatique de la littérature.

Tableau 1: Classification course ultra-trail selon la I-TRA 2018 [3].
Figure 1: Prévalence des blessures au cours des quatre catégories d’épreuves [1].

2.1. Risques propres à la course type ultra-trail: pendant la course

Les problématiques médicales rencontrées au cours des épreuves d’ultra-trail sont divisées en trois grands groupes. Tout d’abord, les atteintes musculo-squelettiques ont la prévalence la plus élevée avec 50% des cas. Ensuite, les atteintes métaboliques et gastro-intestinales représentent chacune d’elles environ 25% des risques restants [4].
Dans les atteintes orthopédiques, les blessures sont les principales causes d’abandon et de risque liées aux courses d’ultra-trail. Effectivement, environ 69% des abandons dans la catégorie 60–70 km sont dues aux blessures [5]. Les catégories les plus à risque sont celles de 60–70 km et celle >300 km, comme le démontre la courbe en U de la figure 1 tirée d’une étude évaluant l’influence de la distance et les blessures dans l’ultra-trail [5]. Il y a deux grandes catégories de blessures retrouvées dans les ultra-trails. D’abord, celles de surutilisation (73%), qui sont essentiellement des tendinopathies ou des atteintes cutanées types ampoules [5]. Puis viennent les blessures traumatiques (27%), comme les entorses, les problèmes musculaires ou encore les contusions. Les blessures traumatiques apparaissent plus fréquemment sur les distances de 60–70 km alors que les blessures de surutilisation sur celles de >300 km. Les genoux, les pieds et les chevilles sont les sites anatomiques les plus touchés dans les deux catégories de blessures.
Les risques métaboliques, principalement hydro-électrolytiques (25%), ne sont pas spécifiques à l’ultra-trail. Ils sont retrouvés dans toutes les épreuves d’endurance. L’état hydrique des coureurs est particulièrement important. Bien qu’un état de déshydratation a de grave conséquence, l’hyper-hydratation peut également mener à des aggravations de l’hyponatrémie [6]. L’hyponatrémie est également favorisée par les efforts de longue durée et de vitesse lente comme retrouvé dans l’ultra-trail [7]. De plus ce genre d’effort favorise l’hypoglycémie et ses conséquences sous-jacentes [8].
Les atteintes gastro-intestinales (25%) ne sont également pas spécifiques à l’ultra-trail, mais fréquemment retrouvées. Les facteurs physiopathologiques sont nombreux, on peut par exemple citer la déshydratation, l’intensité de l’effort, les médicaments, l’alimentation, l’hyperactivité sympathique provoquée par le stress et l’hypoglycémie. Les symptômes sont principalement des crampes abdominales, des urgences fécales, des diarrhées, voire de rectorragies [9].

2.2. Risques propres à la course type ultra-trail: effets physiologiques aigus

2.2.1. Cardiaques
Les modifications cardiovasculaires observées au décours immédiat d’un ultra-trail restent simples et transitoires si le cœur est sain. Tout d’abord, la fréquence cardiaque (FC) diminue en général après quatre à cinq heures, principalement en raison d’une diminution de l’intensité de l’exercice [10]. Ensuite, il existe des modifications transitoires des fonctions systoliques et diastoliques visibles en échographie, principalement au niveau du ventricule droit. Cependant, ces dernières sont sans manifestations cliniques et très rapidement résolutives [11,12]. Il existe également des modifications transitoires et modérées post-effort de différents marqueurs biologiques cardiaques, comme les troponines, les BNP, les CPK-MB et les DD-dimères, chez moins de 50% des coureurs. Il est intéressant de souligner que l’élévation n’est pas plus marquée dans l’ultra-trail qu’après un effort plus court tel qu’un marathon sur route, ou après une course à étape [13]. Finalement, il n’y a pas de modifications visibles à l’ECG, et les modifications échographiques n’ont pas de corrélations avec des symptômes cliniques. Il semble ainsi que ces modifications restent dans les limites physiologiques [14,15].

2.2.2. Cérébraux
Des travaux récents mettent en évidence une augmentation de l’eau intracellulaire au niveau cérébral lors des efforts extrêmes, persistant 48–72 heures après l’effort [16]. L’augmentation d’eau est objectivée par le coefficient apparent de diffusion (ADC), qui mesure l’entrée d’eau dans les tissus via l’IRM. Ces signes sont principalement causés par des changements électrolytiques modifiants l’osmolarité sanguine. Il est encore trop tôt pour apprécier les conséquences cliniques de ces modifications au niveau cérébral, même si on peut penser qu’elles peuvent avoir un rôle dans les hallucinations fréquemment rapportées chez les ultra-traileurs en forte privation de sommeil, ou les altérations cognitives parfois constatées objectivement comme l’augmentation des temps de réaction. Ces questions restent néanmoins actuellement sans réponse certaine [16].

2.2.3. Neuromusculaires
Les origines de la fatigue musculaire ont été testées sur les coureurs d’ultra-trail participant à plusieurs épreuves. Il est évidemment rapporté une baisse de force en aigu, d’origine double. Effectivement, selon une étude sur l’altération de la fonction neuromusculaire [17], la fatigue a une part d’origine centrale (commande musculaire), comme démontré par l’altération du «Central Activation Ratio (CAR)». Les résultats montrent une diminution de l’activation centrale de 22% pour les extenseurs du genou (EG) et de 29% pour les fléchisseurs plantaires (FP). La fatigue a également une origine périphérique (matériel contractile), de l’ordre de 17% et 19% pour les EG et FP, respectivement [15]. Une diminution de la raideur musculaire a également été rapportée par des mesures d’élastographie. Les images montrent une récupération incomplète à 48 heures. De plus, la présence d’une inflammation avec œdème musculaire a été reliée à la présence d’une inhibition neurale [17].

Figure 2: Remodelage cardiaque au cours de l’entrainement intensif en ultra-endurance [23].

2.2.4. Inflammation
Les contractions excentriques induites par les descentes créent des lésions de la microstructure musculaire. Ainsi les marqueurs de dommages musculaires plasmatiques (comme par exemple la Myoglobine ou la Créatine Kinase) ou d’inflammation (CRP) sont largement augmentés après n’importe quel UMM, et même après une simple et unique descente chez des sujets non spécialistes [18].
L’inflammation associée à la réalisation des épreuves d’ultra-endurance s’accompagne souvent d’une augmentation importante des volumes hydriques et en particulier de l’eau extracellulaire, ce qui se traduit par des œdèmes observés au niveau de la face ou des membres inférieurs [19,20]. Ce transfert d’eau du milieu intra- vers le milieu extracellulaire est très spécifique des UMM. L’œdème résultant de cette inflammation semble altérer la contraction musculaire, en particulier au niveau des mollets, où il y peut y avoir des œdèmes très prononcés concomitamment à une baisse importante de la force des fléchisseurs plantaires (25 à 40% de baisse de la force volontaire, selon les UMM, cf supra) [21]. Les œdèmes semblent se manifesterau maximum 2–3 jours après la fin de l’effort. En fait, on observe généralement soit une très légère perte de masse totale, sur les UMM les plus longs, soit une augmentation directement induite par cette augmentation des volumes hydriques résultant de l’œdème périphérique.

2.3. Risques propres à la course type ultra-trail: effets chroniques

Les effets chroniques des courses ultra-trail sont encore peu connus. Néanmoins, voici les principaux effets chroniques documentés.

2.3.1. Cardiaques
Dans l’immense majorité des cas, les efforts d’ultra endurance n’ont pas d’effets néfastes sur un cœur sain. Il est alors important d’identifier les sujets à risques, comme dans toute démarche de prévention chez un sujet reprenant ou pratiquant une activité sportive intense. La pratique d’efforts d’endurance modérée est bonne pour la santé, cependant il n’y a pas d’effet sanitaire bénéfique supplémentaire de la compétition [22]. Le «cœur d’athlète» résultant s’accompagne d’une dilatation physiologique harmonieuse des quatre cavités cardiaques (figure 2) [23].
Le remodelage myocardique diffère selon le sexe et la race. Par exemple, il est plus important chez l’homme que la femme. Les athlètes africains ont tendance à plus épaissir leurs parois. Les asiatiques dilatent plus leurs cavités. Néanmoins, si le myocarde subit des efforts excessifs avec peu de récupération, des lésions microscopiques peuvent se former, facilitant la survenue de cardiomyopathie droite induite par l’entrainement, voire un remodelage arythmogène (figure 2) [23]. Effectivement, une association entre l’ultra-endurance et la fibrillation atriale et/ou le flutter a été démontrée [24]. De plus, il y a également une augmentation de contractions ventriculaires prématurées, bien que cela reste bénin chez la majorité des athlètes [24]. La majorité des troubles du rythme restent néanmoins bénins, et il est encore difficile de tirer des conclusions au niveau sanitaire populationnel concernant la balance bénéfice/risque.

2.3.2. Musculo-squelettiques
Les microtraumatismes répétés des courses sur route en font un des sport les plus pourvoyeurs d’atteintes dégénératives musculo-squelettiques. Prenons l’exemple d’une cohorte rétrospective avec 117 hommes élites de 45 à 68 ans. La prévalence de gonarthrose est de 31% chez les haltérophiles (principalement fémoro-patellaire), 29% chez les footballeurs (fémoro-tibiale et de 14% chez les marathoniens. La symptomatologie est augmentée s’il y a une arthrose radiologique, bien que l’arthrose radiologique ne soit pas forcément symptomatologique [25]. Des données récentes issues d’une enquête déclarative auprès des participants de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) révèle que les principaux facteurs associés à la présence d’une arthrose radiographique de genou sont: un âge >60 ans, une rupture du ligament croisé antérieur (LCA) et la présence de douleurs/gonflements articulaires pendant la course. Il est donc intéressant de constater l’augmentation d’arthrose avec un OR (odds ratio) de 4.73 chez les patients ayant un antécédent de blessure grave (rupture LCA) et l’absence de relation avec l’ancienneté de la pratique ou le kilométrage/volume hebdomadaire [26]. Ces éléments pourraient en partie être expliqué par la fréquence de l’entraînement «croisé», intégrant une parte de la charge d’entraînement en endurance par la pratique de sports «portés» comme le vélo, et la pratique plus fréquente de la préparation musculaire spécifique que chez les coureurs sur route.

2.3.3. Surentraînement
Le surentraînement ou le syndrome de surentraînement est une fatigue chronique qui s’accompagne d’une baisse de performance, de symptômes somatiques, de signes psychologiques, parfois endocriniens et immunologiques [27]. Les causes du surentraînement sont variées et peuvent être la conséquence d’une charge d’entrainement excessive, d’une récupération insuffisante, d’une fréquence de compétition trop élevée, d’un stress psychologique ou environnemental inhabituel, voire de problèmes médicaux sous-jacents. La planification de l’entrainement est primordiale pour prévenir l’apparition du surentrainement. Le concept de surcompensation (figure 3) est souvent recherché, en alternant période d’entrainement intense avec période de récupération, pour que l’athlète ait «un pic de forme» au moment voulu. Au-delà d’une certaine charge d’entrainement (déterminée par le volume et l’intensité de la pratique), la relation proportionnelle entrainement/performance disparait et l’accroissement de la charge ne va plus améliorer la performance, mais va la détériorer, exposant au surentrainement [28]. Il est primordial de tenir compte des sources de stress ou charges cachées (sommeil, famille, travail) souvent négligées car ce modèle est dérivé du sport de haut niveau où il existe peu d’aléas concernant ces éléments [29].
Outre la fatigue, on peut penser que la participation trop fréquente à des compétitions d’ultra-trail pourrait s’accompagner d’un état inflammatoire chronique, qui paraît délétère et pourrait, dans certains cas, aboutir à de véritables intolérances acquises à l’exercice, au cours desquelles on peut observer des atteintes structurelles musculaires prolongées, voire définitives [30].

2.3.4. Addiction
L’addiction est définie selon le Manuel Diagnostique et Statistiques des Troubles Mentaux, quatrième édition (DSM-IV), comme une maladie chronique de la récompense cérébrale, de la motivation, de la mémoire, et des circuits associés [31,32]. Elle est caractérisée parl’incapacité de s’abstenir, une diminution dans le contrôle comportemental, l’envie irrépressible (craving), une moindre reconnaissance des problèmes comportementaux et des difficultés interpersonnelles.
L’addiction au sport se définit par une pratique nocive de l’exercice physique, décrite comme un besoin compulsif, où les dommages corporels, familiaux, et socio-professionnels prennent le pas sur les bienfaits de cette pratique, avec une poursuite de ce comportement malgré les dommages. Certains facteurs de risques ont été identifiés:

  • Des facteurs individuels: certains traits de personnalité comme le perfectionnisme, la précocité de l’initiation au sport, l’intensité de la pratique dans le cadre du sport de haut niveau, des moments de fragilité psychologique.
  • Des facteurs environnementaux: environnement parental, entraineurs et «pression» à l’entrainement, pression sociétale avec le culte de la performance, origine ethnique, etc.
  • Des facteurs spécifiques au sport: les sports d’endurance (course à pied, cyclisme…) ainsi que le culturisme sont les plus concernés.

Il est possible d’évaluer l’existence de cette addiction et son intensité grâce à l’Exercise Dependance Scale Revised (EDS-R), validée et traduite en français. Il s’agit d’une échelle multidimensionnelle, regroupant un ensemble de symptômes cognitifs, comportementaux et physiologiques.
Cette échelle a été utilisée au cours d’une étude réalisée chez les ultra-traileurs lors de l’UTMB 2017. Sur l’ensemble des participants (1611 hommes/164 femmes), 7% ont été décrit selon EDS-R comme «addict» et 60% comme «à risque». Le risque est le plus élevé chez les jeunes de 20–30 ans [33].
Le diagnostic se fait cependant le plus souvent a postériori, en particulier chez les amateurs, quand le sujet a transféré sa dépendance vers un produit, qu’il soit licite ou illicite, ou que la blessure est devenue trop grave pour poursuivre. En effet, peu de sujets consultent et bénéficient de mesures de prévention.
Ce comportement addictif semble pouvoir exposer les ultra-traileurs à des problèmes de surutilisation ou de surentrainement. Effectivement, beaucoup ambitionnent de s’entrainer plus intensément et plus longtemps, souvent à la lecture des plannings d’entraînement des athlètes professionnels, qui ont peu de sources de stress «cachées». De plus, on retrouve souvent des athlètes enchaînant plusieurs ultra-trail dans la saison avec des durées de récupération probablement insuffisantes. Chaque athlète devrait ainsi connaître ses limites, afin de personnaliser son planning d’entraînement et d’objectifs, en gardant toujours une vision à long terme.
La recherche d’une amélioration des performances sportives et physiques peut par ailleurs être à l’origine de conduites dopantes, ou de co-addictions, en particulier des troubles du comportement alimentaire. On peut y assimiler certaines conduites à risques, comme l’utilisation d’AINS au cours des épreuves ou des entrainements afin de prévenir ou masquer des blessures, ce qui peut augmenter le risque de troubles rénaux aigus ou d’hémorragies lors d’un traumatisme [34].

Figure 3: Timing de surcompensation, d’après [28].

Conclusion

Les effets sur la santé de l’UMM restent encore peu étudiés, en particulier à long terme. La faible intensité de course malgré la longueur des épreuves semble limiter les dommages musculaires ou cardiaques aigus. Ceux-ci semblent pouvoir être prévenus par un entrainement spécifique, une phase de repos suffisante et une bonne gestion de la course, en particulier la gestion de la fatigue et du sommeil. Le risque traumatique semble pouvoir être limité par une préparation spécifique au travail excentrique afin d’éviter les blessures. Par ailleurs, il est important que les coureurs soient informés des risques liés à la prise d’AINS durant les épreuves, et des actions d’éducations spécifiques sur ce point pourraient être mis en place par les organisateurs et les sociétés de médecine du sport. Concernant les aspects chroniques,il semble exister une augmentation du risque d’atteinte articulaire dégénérative, difficile à apprécier car également liée à l’âge, qui paraît plus élevé sur les UMM que sur les courses sur route. Le volume d’entraînement ne semble pas être un facteur de risque majeur de pathologies ostéo-articulaire, même si ce paramètre ne reflète qu’imparfaitement la charge d’entraînement. Il semble en effet que les risques articulaires sont plus liés aux séquelles d’accidents (LCA particulièrement). Sur le plan cardiaque, les conséquences sont les mêmes chez tous les athlètes d’endurance. Lors d’une planification d’entrainement trop intensive, ou lorsque le nombre de courses est trop important en négligeant les temps de récupération, ces effets à court et long terme sont fortement augmentés. Effectivement, la planification d’une saison sportive doit être très réfléchie, surtout chez les coureurs d’ultra-trail. Les coureurs s’inspirent souvent de plans d’entraînement d’athlètes de haut niveau sans les adapter.
Il semblerait que les comportements addictifs aient une prévalence en augmentation surtout dans les efforts de longue durée. Ces comportements sont un facteur de risque important pour la santé des athlètes, tant sur le plan mental que physique (blessures à répétition, co-addictions exposant à des effets rénaux par ex.).
Finalement, même si les effets chroniques sont encore mal connus, on pourrait résumer qu’avec une préparation correcte, l’ultra-trail en soi ne semble pas présenter d’effets néfastes pour la santé en aigu, mais que c’est probablement plus le comportement des traileurs eux-mêmes, enchainant entraînement trop intense et épreuves sans respecter un repos suffisant, qui les mettent en danger.

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article. 


Author

Dino Soppelsa
Faculté de Biologie et Médecine
Université de Lausanne
CH-1011 Lausanne
Mobile: +41 79792 24 42
E-Mail: dino.soppelsa@gmail.com

Corresponding author

Pr med Vincent Gremeaux, MD, PhD & MER
Médecine du sport et de l’exercice et Médecine Physique
Swiss Olympic Medical Center
CHUV – Dpt de l’Appareil Locomoteur (DAL)
Av. Pierre-Decker 4, CH-1011 Lausanne
Tél: +41 (0)21 314 9406
E-Mail: vincent.gremeaux@chuv.ch

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