Original Article

Risques encourus en Suisse par un médecin impliqué dans une affaire de dopage

Jenoure P
Ars Ortopedica, Ars Medical Clinic, 6929 Gravesano

Résumé

Dès qu’il prescrit des médicaments à un sportif, tout médecin se trouve confronté, qu’il le veuille ou non, et qu’il en soit conscient ou non, avec les nombreuses et souvent complexes réglementation régissant la lutte contre le dopage. En cas d’erreur, involontaire ou non, cette réglementation peut se retourner contre lui par l’intermédiaire de diverses voies, et de manière parfois très sévère. L’ignorance n’étant par définition pas une forme de défense, il parait important que chaque praticien soit informé le mieux possible concernant ces aspects légaux, ce que cherche à faire cette présentation.

Summary

As soon as he prescibes medicine to an athlete, any physician is confrounted if he wants or not, and if he is aware of it or not, with the numerous and often complex rules treating with the universal fight against doping. In case of an involountary mistakee or not, the doctor can be involved in very unpleasant situations over different regulations. As ignorance is no valid defense form, it seems obvious that it is very imporant that each practitionner is informed the better possible about these legal aspects. This is the objective of the following presentation.

Introduction

Même si la proportion des médecins sanctionnés dans des affaires de dopage est extrêmement faible par rapport au nombre de cas (ou l’athlète attrapé est toujours puni !), il n’en reste pas moins que dans l’imaginaire collectif, un rôle significatif est très souvent attribuée dans cette question à un spécialiste agissant dans l’ombre. Et souvent, ce spécialiste est présumé être issu du domaine médical. Cette assimilation n’est pas absolument fortuite, puisque la « Liste des substances et méthodes prohibées », un des documents de base de toute la réglementation anti-dopage, collige les produits pharmaceutiques et les méthodes biologiques susceptibles d’améliorer la performance, pierre angulaire avec la santé de l’athlète et l’éthique propre au sport, de la lutte contre le dopage. Or le médecin, même si de façon non-exclusive, dispose en principe des connaissances nécessaires à l’application de ces mesures. D’où cette suspicion quasi automatique, renforcée par quelques cas fortement médiatisés comme celui touchant à l’époque le médecin de Ben Johnson après sa victoire aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988, ou plus récemment, celui où était impliqué le médecin (gynécologue) Espagnol Fuentes. Pour ne citer que 2 cas malheureusement parmi beaucoup d’autres !
A notre connaissance, au jour d’aujourd’hui, aucun médecin hélvétique n’a été condamné pour pratiques dopantes, mais l’analyse des cas de dopage positifs traités par l’instance nationale en la matière, la Chambre Disciplinaire pour les cas de dopage de Swiss Olympic, laisse entrevoir à diverses reprises une responsabilité non négligeables des membres du corps médical. Il est donc permis de se poser la question de savoir quelles sanctions risque un médecin impliqué dans une situation de ce genre, et quelles sont les conditions nécessaires pour que ces risques se concrétisent.

Rappels de ce qu’est le dopage

Le dopage dépasse et de loin le seul fait de retrouver une substance interdite dans les urines d’un sportif. Le Code Mondial Antidopage de l’AMA [1], la référence principale en la matière dont s’inspirent pratiquement tous les réglements des associations sportives internationales et nationales (Comités Olympiques, Fédérations sportives), retient une liste exhaustive d’infractions à la loi du dopage (Tableau 1). Cette liste laisse entrevoir les différents moments où un médecin peut être impliqué dans une forme d’infraction.

Cadre légal

La lutte contre le dopage considérée de façon globale, à laquelle la Suisse s’est jointe sans réserve et où elle se montre même plutôt bon élève, s’articule autour de de différents codes, lois et standards.
D’un point de vue international, le Code Mondial Antidopage de l’Agence Mondiale Antidopage et 5 Standards (Liste des interdictions, Contrôle, Laboratoires, Autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) et Protection des renseignements personnels) forment la base de référence de base pour la plupart des législations fédératives et nationales. Il faut ici rappeler qu’elle est issue initialement du milieu sportif où elle a force de loi, mais sans toujours pouvoir prendre effet sur le monde civil. En la matière, il s’agit indiscutablement du document le plus complet, et on peut prétendre qu’il traite pratiquement tous les aspects du sujet. A notre sens, c’est la source d’information principale pour se mettre au courant de la complexité du sujet.
Du point de vue national, en Suisse, la situation juridique entourant le dopage et, par conséquent, agissant sur le médecin impliqué dans une affaire de dopage en Suisse est réglée fondamentalement en regard du droit public par
i.) La Loi sur l’encouragement du sport [2]
ii.) La Loi sur les professions médicales [3]
et au regard du droit privé par
i.) Le Statut concernant le dopage 2015 de Swiss Olympic [4]
ii.) La réglementation de la FMH [5]

La Loi sur l’encouragement du sport [2]

Depuis le 1er octobre 2012, la Confédération dispose d’une nouvelle Loi sur l’encouragement du sport et de l’activité physique, et celle-ci comporte une section entièrement consacrée aux mesures de lutte contre le dopage (Section 2 LESp).
Dans sa section 2, elle décrit les mesures composant la lutte contre le dopage, et dans les dispositions pénales, il y apparait clairement que quiconque contrevient à la loi, donc le médecin également, est sujet aux sanctions qui prévoient la peine privative de liberté ou d’une peine pécuniaire, le cumul des deux étant possible dans les cas graves.

Tableau 1 : les différentes formes d’infraction contre le dopage.

Un certain nombre de dispositions concernant la lutte contre le dopage peut également être trouvé dans l’Ordonnance sur l’encouragement du sport et de l’activité physique, notamment aux art. 73ss OESp. L’une des dispositions les plus importante est l’art. 74 OESp, qui indique quelles sont les substances et les méthodes interdites, en précisant que ce sont celles qui se trouvent en annexe de l’Ordonnance. Il est intéressant, mais en même temps surprenant de constater que cette liste « suisse » n’est pas identique à la Liste de l’AMA ! Dans la pratique toutefois, cela n’a pas trop d’importance, puisque la liste la plus utilisée en Suisse est celle publiée et distribuée par AntiDoping Suisse, rigoureusement identique à celle de l’AMA, et plus contraignante que celle de l’OESp !

La Loi sur les professions médicales [3]

En soi, la Loi sur les Professions Médicales ne comprend aucune allusion spécifique au dopage, mais comme elle définit la bonne pratique médicale et ses déviances, elle sera très vraisemblablement citée en cas d’infraction d’un médecin en matière de dopage.

Le Statut concernant le Dopage 2015 [4]

Pour les besoins de cette présentation, retenons la situation la plus classique d’une infraction au lois du dopage, celle où un athlète est contrôlé « positif », ses analyses révélant la presence d’une substance interdite. Dans une telle situation, Antidoping Suisse, centre de compétence indépendant et responsable de la gestion des affaires antidopage en Suisse, financé par la Confédération et le Mouvement sportif, traitera le cas selon le « Statut concernant le dopage de Swiss Olympic » [5]. Elle décidera, si nécessaire, de le transmettre pour jugement à la Chambre Disciplinaire de Swiss Olympic. C’est donc cette instance qui décidera de la sanction, en application de ses règles de procédure, après avoir entendu l’athlète et sa défense. Le verdict est porté à la connaissance des différentes parties en Suisse, ainsi qu’à l’AMA. La décision de la Chambre peut être combattue autant par l’athlète et son entourage que par l’accusation devant le Tribunal Arbitral du Sport à Lausanne.
La Chambre Disciplinaire dispose de la compétence de sanctionner toute personne qui est affiliée, d’une manière ou d’une autre, à une organisation sportive (club, fédération) placée sous la juridiction de Swiss Olympic. On comprend ainsi aisèment les difficultés soulevées par ce point en ce qui concerne les médécins, généralement en fonction libre (bénévole, sans contrat, etc) dans ces institutions ! Preuve en est qu’aucun professionnel de la santé n’a été amené à ce jour devant la Chambre disciplinaire.
Il faut signaler à cet endroit qu’Antidoping Suisse collabore avec les autorités judiciaires et de poursuite pénale et vice-versa (art. 24 LESp). Antidoping Suisse collabore également avec les douanes pour tous les achats de substances prohibées arrivant de l’étranger.

La Fédération Suisse des Médecins FMH [6]

Tout médecin désireux de « traiter » des patients doit être en possession d’un droit de pratique décerné par l’Autorité Sanitaire Cantonale. Pour l’obtenir, il faut obligatoirement être membre de la Société Cantonale de Médecine, ou de la Fédération Suisse de Médecine FMH. Dans les deux situations, le médecin est tenu de respecter, faute de risque de sanction, du Code de Déontologie de cette Association professionnelle. De manère réjouissante bien que surprenante, la FMH a prévu dans son Art. 33bis du Code de Déontologie, et surtout dans une longue et différenciée annexe 5 toute une série de mesure pour s’opposer au dopage par des médecin. En même temps, l’Art. 45 du même document définit comment une infraction à ce Code peut être dénoncée et par qui, alors que son Art. 47 définit les sanctions possibles, souvent sévères et très contraignantes pour l’accusé (lourdes amendes, suspension, retrait du droit de pratique, etc).
Pour entrer en matière, l’infraction présumée doit être dénoncée par les membres de la FMH ou par des tiers, l’athlète lésé par exemple.
A l’analyse précise de ce texte, on en arrive à la conclusion qu’une révision de l’art. 33bis du Code de déontologie et de son Annexe 5 s’impose. La prise en charge médicale de sportifs requiert une grande faculté de compréhension, raison pour laquelle il est nécessaire que les médecins qui prennent en charge de tels patients puissent se reposer sur des bases réglementaires claires, précises, mais surtout actuelles et conformes aux autres règles, quelles soient juridiques ou associatives, qui régissent la problématique du dopage. Il n’est en effet pas raisonnable d’exiger des médecins suisses qu’ils aient connaissance des réglementations spécifiques au dopage et qu’ils agissent en conformité avec ces réglementations, lorsque ces dernières sont entrées en vigueur il y a plus de dix ans et se fondent sur des dispositions et des sites internet qui ont été abrogés depuis plusieurs années déjà. Dès lors, nous ne pouvons qu’inviter la FMH à agir dans ce sens et à faire les modifications nécessaires.

La Société Suisse de Médecine du Sport [7]

Dans ses statuts (Article 2,§d), il est mentionné la volonté de lutter contre le dopage et garder le souci primordial de la défense de l’athlète. A l’article 12 sont définis des motifs d’exclusions définitifs ou temporaires, et la relation avec des violations de la loi contre le dopage est formellement nommée. Comme sanction, le retrait définitif ou transitoire du certification de capacité en médecine du sport SSMS est dûment mentionné. Il ne fait pas de doute que cette mesure n’est pas sans conséquences, puisque les fédérations sportives sont priées de n’engager, comme collaborateurs médicaux, uniquement des titulaires porteurs de la qualification. Il en va de même pour la collaboration avec le Comité Olympique National.

Autres situations

Nous avons connaissance d’autres mesures contre des médecins du sport travaillant au sein de fédérations sportives ou de délégations olympiques nationales, interdits de participation (refus d’accréditation) à des championnats mondiaux ou à des Jeux Olympiques par la fédération internationale, respectivement le Comité International Olympique, à la suite d’infractions commises sous une forme ou une autre au sens des réglementations de ces institutions. Même si ces sanctions sont de nature plutôt morale, elles n’en sont pas moins désagréables et peuvent avoir un caractère négatif par rapport à une réputation professionnelle.
Plus récemment, l’AMA a établi une liste de toutes les personnes faisant partie de l’encadrement d’un sportif et qui ont été sanctionnés pour violation des règles antidopage, en précisant la nationalité et la date de fin de la suspension infligée [9]. Cette liste poursuit uniquement un but informatif et se fonde sur les informations que l’AMA reçoit de la part de ses parties prenantes. Elle permet toutefois aux sportifs ou aux fédérations de savoir quelles personnes sont suspendues et d’éviter de commettre une association interdite au sens de l’art. 2.10 CMA. Cette liste se compose actuellement de 136 personnes, dont un Suisse. Parmi ces personnes,
42 d’entre elles purgent une suspension à vie, dont 14 sont des médecins ou des personnes exerçant une profession médicale [9].
Ainsi, il convient de retenir de ces informations que le médecin qui est affilié à une fédération et exerce le rôle de médecin officiel d’un club ou d’une association risque d’engager sa responsabilité « sportive », en sus des responsabilité pénale, civile et professionnelle, ce qui pourrait par conséquent impliquer diverses procédures et sanctions distinctes.

Synthèse

Officiellement en tous cas, la lutte contre le dopage est devenue un objectif prioritaire universellement, autant dans le domaine sportif que politique. Pour y parvenir, un filet aux mailles étroites a été tissé par tous les protagonistes, et c’est cet ensemble de législations et régles que nous avons succintement cherché à présenter, sous une forme médicale pour médecins. Notre intention a également été de placer le médecin, potentiel acteur d’actes de dopage, au centre de nos préoccupation. Il ressort de ces recherches que les représentants du monde médical sont pratiquement mentionnés dans tous les documents et que des mesures sérieusement contraignantes sont prévues pour toutes infrations commises par eux. On peut ensuite affirmer que la Suisse a parfaitement respecté ses obligations conventionnelles en adoptant des lois réglant la problématique du dopage. La LESp règle tant les modalités des contrôles antidopage que les entraides entre les différentes autorités suisses et internationales. Toutefois, on ne peut que constater qu’à l’heure actuelle, trop peu de mesures sont prises à l’encontre de médecins qui commettent des fautes professionnelles, dans le cadre du traitement d’un sportif d’élite. Il serait souhaitable de voir un système plus harmonisé entre les différentes lois, mais surtout plus sévère, afin d’inciter les médecins ayant à traiter ce type de patients, à agir avec une vigilance accrue.

Conclusions

Pour le médecin amené à soigner des sportifs, il y a plusieurs bonnes raisons de s’informer sur la réglementation concernant la lutte contre le dopage, domaine pratiquement unique en son genre, et malheureusement peu diffusé et par conséquent insuffisamment connu. La protection du patient doit certes être sa priorité, mais la sienne propre n’est pas à négliger, au vu des risques encourrus en rapport avec les législations anti-dopage en vigeur. Une bonne information est sans aucun doute la meilleure prévention contre des ennuis pour le moins désagréables, intrusifs même, surtout si la violation des réglements en place a eu lieu involontairement. Il est vrai que le domaine est plutôt rébarbatif, mais en fin de compte asse compréhensible dans son application quotidienne.

Figure 1 : Le médecin-enclume et les différents marteaux

Remerciements

Cette présentation a été initiée en 2015, et elle a servi de détonnateur à la rédaction d’un mastère en droit à la Faculté de Droit de l’Université de Neuchâtel [8]. Ce titre a été décernée en septembre 2016 à Madame Charlotte Frey avec la meilleure note possible, après une collaboration extrêmement fructueuse et particulièrement enrichissante pour l’auteur de cette présentation. Que Madame Frey trouve dans cette publication mon appréciation pour son remarquable travail. Je remercie par la même occasion Monsieur le Dr. en droit Y. Hafner pour ses recommendations au début de la rédaction.

Conflit d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir rencontré aucun conflit d’intérêt dans la rédaction de cet article.

Contact auteur

Dr. med. P. Jenoure
Ars Ortopedica
Ars Medical Clinic
6929 Gravesano
Téléphone: 079 644 51 72
studiojenoure@bluewin.ch

Bibliographie

  1. Code Mondial Antidopage 2015 https://wada-main-prod.s3.amazonaws.com/resources/files/wada-2015-world-anti-doping-code-fr.pdf (consulté le 25 septembre 2016).
  2. La Loi sur l’encouragement du sport https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2011/4543.pdf (consulté le 25 septembre 2016).
  3. La Loi sur les professions médicales https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20040265/index.html (consulté le 25 septembre 2016).
  4. Statut concernant le dopage 2015 Swiss Olympic (http://www.antidoping.ch/fr/glossary/statut-concernant-le-dopage-de-swiss-olympic (consulté le 25 septembre 2016).
  5. Règlement de procédure devant la Chambre Disciplinaire pour les cas de dopage, en vigueur dès le 1er janvier 2013 (http://www.antidoping.ch/sites/default/files/downloads/2014/130101_verfahrensreglement_dk_2013_fr_0.pdf (consulté le 25 septembre 2016).
  6. Code de Déontologie de la FMH (http://www.fmh.ch/fr/de_la_fmh/bases_juridiques/code_deontologie.html (consulté le 25 septembre 2016).
  7. Société Suisse de Médecine du Sport http://www.sgsm.ch/fileadmin/user_upload/Statuten/SSMS_Statuts_Rev._2015.pdf (consulté le 25 septembre 2016).
  8. Frey C : La responsabilité des médecins dans les cas de dopage ; Mémoire de Master, juin 2016, UNINE, Faculté de Droit.
  9. https://wada-main-prod.s3.amazonaws.com/resources/files/asp_list_july_2016.pdf (consulté le 25 septembre 2016).

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