La parole à l'athlète
published online on 22.04.2024https://doi.org/10.34045/SEMS/2024/6
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Mon histoire d’athlète de haut niveau

J’ai été athlète de haut niveau durant 6 ans entre mes 12 et mes 18 ans. Je pratiquais la gymnastique rythmique en équipe, et en apparence tout semblait bien se passer. Nous avons réalisé des championnats du monde et nous avons obtenu de bons résultats. Mon état s’est dégradé au fur et à mesure des années jusqu’à devenir insoutenable provoquant ainsi l’arrêt définitif de ma pratique. S’en sont suivi de lourdes conséquences et de longues années de reconstruction que je détaillerai plus bas. Ainsi, ces années dans le sport de haut niveau m’ont beaucoup abimées, et je vous partage ici les quelques facteurs qui selon moi, m’ont prédisposé à des fragilités:

  • L’isolement – le fait d’être physiquement loin de ma famille et de mon environnement social.
  • Un suivi médical, psychologique et diététique pauvre, voire inexistant.
  • La pratique d’un sport esthétique qui induit des exigences et critères d’apparence physique et de poids.
  • Un environnement contrôlé et clos: pas de vie privée autorisée, contacts avec l’extérieur contrôlés.
  • La normalisation de la violence, de la douleur et de la souffrance.
  • Un mode de communication avec les coaches par la menace, le chantage et les ordres.
  • L’épuisement physique et psychique et le non-respect des périodes de récupération.

Tous ces éléments cumulés constituent un environnement défavorable au bien-être de l’athlète. C’est une évidence, mais je pense qu’il est nécessaire de porter attention à chacun d’entre eux car un seul élément a le potentiel de menacer l’équilibre psycho-corporel et émotionnel de l’athlète. Il est donc important, s’il on fait partie de son entourage, d’observer et de questionner le·a sportif·ve afin de pouvoir identifier un terrain de fragilité et prévenir ces éventuelles conséquences.

«Voilà les conséquences qui m’ont impacté directement: dépression, tentatives de suicide, trouble du compor­tement alimentaire (anorexie puis boulimie), trouble ­anxieux généralisé et trouble du sommeil».

Les conséquences d’un environnement sportif malsain

Sentant en moi un profond mal-être, lorsque le moment est venu de rompre mon contrat de sportive, j’ai immédiatement été soulagée, pensant que tout rentrerait dans l’ordre. Néanmoins, j’étais loin de me douter qu’il ne s’agissait que de la pointe de l’iceberg. L’impact de ces longues années de maltraitance fut dramatique pour ma santé psychique, physique, sociale et émotionnelle, il m’a fallu m’armer de courage, de résilience et m’entourer de professionnels de la santé pour guérir et me reconstruire pendant 5 ans. Alors voilà les conséquences qui m’ont impacté directement: dépression, tentatives de suicide, trouble du comportement alimentaire (anorexie puis boulimie), trouble anxieux généralisé et trouble du sommeil.
C’est précisément pour prévenir cela et protéger les athlètes de tels risques que je partage ici mon expérience.

Ce dont j’aurais eu besoin à cette époque: message aux professionnels de la santé

L’une des choses qui me paraît primordiale, c’est de comprendre l’athlète. Comme j’aurais eu besoin de me sentir comprise à l’époque… Combien de fois j’ai dit ou pensé «personne ne me comprend», car il est difficile de se représenter un tel mode de vie, de telles conditions. Le sport de haut niveau implique le vécu de certaines émotions extrêmement fortes, difficiles à mettre en mots. Mais le sport de haut niveau c’est aussi l’abnégation, le sacrifice, un monde qui tourne autour d’une seule date, une alimentation spécifique, des liens particuliers avec ses coéquipiers… et plein d’autres choses peu communes. Alors avant toutes choses, pour qu’il puisse y avoir prévention et accompagnement du bien-être global de l’athlète, il est nécessaire d’établir un bon lien de confiance et de comprendre son environnement, son sport et ses enjeux. Un soignant qui rencontre les coaches, qui connait, qui visite et qui a une représentation étayée de la réalité du sportif, c’est ça dont j’aurais eu besoin. Une personne qui me comprenne, une ressource, et un filet, capable de prévenir un effondrement.
Ensuite, pour ma part, et je pense que c’est le cas pour bon nombre d’athlètes, le sport m’a enseigné la persévérance, le dépassement de soi, mais aussi l’envie de réussir seule… Il n’est donc pas aisé pour un·e sportif·ve de demander de l’aide, ou de spontanément parler de ce qui ne va pas. Le mécanisme de l’athlète pourrait être de se renfermer sur lui·elle, de vouloir s’en sortir seul·e.
Mon conseil serait de questionner le·a sportif·ve sur son sommeil, son alimentation, son moral, sa motivation et sa vie sociale et familiale, car ces éléments peuvent être révélateurs. On le sait, le psychologique peut impacter le physique, et vice-versa, il est donc selon moi nécessaire de prendre en charge l’individu dans sa globalité. En posant des questions précises et en demandant de détailler les réponses, en montrant de l’intérêt et de l’empathie, le sportif en souffrance aura plus de chance de s’ouvrir et de se laisser aider. Sans banaliser certaines informations transmises, parfois pour rassurer ou dédramatiser, il arrive que certains professionnels normalisent le manque de sommeil, de motivation ou encore d’appétit. Ce n’est pas ok, cela nie la souffrance de l’individu et lui crée une représentation biaisée du bien-être. L’informer plutôt des risques éventuels, de votre inquiétude, du fait que vous vous souciez de sa santé et proposer un suivi un peu plus régulier pourrait beaucoup aider.
Avec cela, j’aurais eu besoin d’un espace de confidentialité. D’un espace où il soit dit haut et fort, que je suis en sécurité et que rien de ce qui sera discuté ne franchira ces murs sans que j’en donne mon accord. Rien que ça, même si pour certains professionnels c’est une évidence, en tant qu’athlète je me souviens avoir toujours eu l’impression que tout serait retransmis à mon coach. Me mettant d’office dans un lien d’insécurité et de méfiance avec le soignant, empêchant toute ouverture sur le partage de ma souffrance.

«J’aurais eu besoin d’un espace de confidentialité. D’un espace où il soit dit haut et fort, que je suis en sécurité et que rien de ce qui sera discuté ne franchira ces murs sans que j’en donne mon accord».

Enfin, ce dont j’aurais eu grandement besoin, c’est que les professionnels de la santé valident mon vécu émotionnel plutôt que de donner des conseils. Qu’ils entendent et qu’ils légitiment mes émotions, mes douleurs, mes craintes, qu’ils me disent que c’est normal de ressentir cela dans ce contexte, mais que cet état n’est pas normal et qu’ils vont m’aider à en sortir.
Dernièrement, j’avertirai sur le fait qu’un athlète qui se confie, si cela n’est pas pris au sérieux ou que rien ne se passe, ne se re-confiera plus. L’effort de partager quelque chose de si signifiant étant trop important et le résultat si peu concluant, il va juger qu’il vaut mieux garder cela pour lui·elle. C’est un mécanisme classique chez les victimes d’abus. En prenant l’athlète au sérieux, en intervenant et en l’accompagnant, vous pouvez faire la différence.

Correspondance

Marine Winkelmann,
membre de l’équipe nationale suisse
de gymnastique rythmique
de 2005 à 2012

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