Short communication
published online on 11.10.2024https://doi.org/10.34045/SEMS/2024/42
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Auteur

Dr méd. Cédric Gubelmann, PhD,
Médecin assistant en médecine du sport,
Centre Orthopédique d’Ouchy, Medicol, Lausanne, Suisse

Highlights

• L’association entre surpoids et condition physique a été étudiée chez plus de 412 000 conscrits de l’Armée suisse sur une période de 15 ans.
• Les conscrits obèses et en surpoids ont une condition physique extrêmement inférieure par rapport à ceux ayant un poids normal.
• Le déconditionnement physique paraît s’aggraver au fil du temps, affectant plus particulièrement la fonction musculosquelettique.

Depuis plusieurs décennies, l’obésité est devenue une pré­occupation majeure de santé publique à l’échelle mondiale. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la prévalence mondiale de l’obésité a presque triplé depuis 1975, atteignant plus de 650 millions d’adultes obèses en 2016 [1]. La Suisse n’échappe pas à cette tendance, avec une augmentation des taux d’obésité de 1992 à 2017, atteignant un taux élevé de 43% de la population adulte [2]. Cette augmentation de l’obésité pose des défis de santé publique importants, mais engendre également des problèmes concrets à court terme pour le recrutement militaire, lequel requiert des individus en bonne forme physique pour assurer la préparation opérationnelle des forces armées.
De nombreuses études ont mis en évidence l’impact négatif de l’obésité sur la performance physique des militaires [3,4,5] ainsi que chez les enfants et adolescents [6,7]. En conséquence, plusieurs armées, dont celles des États-Unis et de la Suisse, ont instauré des limites de poids pour le recrutement de leurs soldats. Cependant, ces études se basent sur des données relativement anciennes et ne tiennent pas compte des changements potentiels survenus au fil du temps. Il est donc crucial d’examiner si la condition physique de la population actuelle en surpoids a évolué par rapport aux générations précédentes, dans un contexte où le mode de vie moderne, marqué par une sédentarité accrue, une alimentation transformée, le stress, l’accès aux technologies et l’urbanisation, a été profondément modifié.
Nous avons mené une étude transversale auprès des conscrits suisses âgés de 18 à 23 ans, sur une durée de plus de 15 ans. Du fait de la conscription obligatoire dans notre pays, nous avons obtenu ces données directement de l’Armée suisse, sous forme anonymisée, couvrant la période de janvier 2006 à janvier 2023. Tous les hommes suisses atteignant l’âge de 19 ans chaque année sont convoqués dans l’un des six centres de recrutement de l’Armée suisse. Ces données comprennent des informations sur l’année et le lieu de recrutement, la région de résidence, l’âge, la taille, le poids et les résultats des tests de condition physique. Lors de leur recrutement, les conscrits bénéficient d’une instruction préalable dispensée par du personnel qualifié et suivent un échauffement standardisé avant de passer un test physique validé [8]. Ce dernier comprend une course d’endurance progressive (similaire au protocole de Conconi) pour évaluer l’endurance aérobie, un test de force du tronc, un saut en longueur sans élan pour mesurer la puissance des membres inférieurs, un lancer de ballon lourd pour évaluer la puissance des membres supérieurs, ainsi qu’un test d’équilibre sur une jambe (figure 1). Les résultats du test physique sont calculés sur une échelle de points de 0 à 25 pour chaque discipline, avec un total pouvant atteindre 125 (figure 2) et classés selon les directives militaires comme suit: insuffisant pour < 35, suffisant pour 35-64, bon pour 65-79, très bon pour 80-99 et excellent pour ≥ 100 points [9]. De plus, le statut pondéral est déterminé en calculant l’indice de masse corporelle (IMC, poids [kg]/taille [m]²) et en le catégorisant en poids normal (18,5-24,99), surpoids (25-29,99) et obésité (≥ 30 kg/m²).

Figure 1: Test recrutement militaire

 

Figure 2: Tableau d’attribution des points par discipline

Les conscrits en surpoids ou obèses ont obtenu des scores de condition physique extrêmement inférieurs à ceux de poids normal, les conscrits obèses ayant plus de 77 fois plus de chances d’échouer leur test physique, c’est-à-dire d’avoir un test physique «insuffisant» par rapport à «bon». Ces résultats persistent même après avoir tenu compte de facteurs susceptibles de les influencer, tels que l’âge, la région de résidence et l’année de recrutement, qui sont reconnus pour affecter les niveaux d’activité physique dans cette population.
Notre étude transversale révèle une baisse constante de la condition physique chez les conscrits obèses ou en surpoids au fil des années (figure 3). Alors que pour les participants de poids normal, le score au test de recrutement militaire n’a pas significativement changé entre 2007 et 2022, il a diminué en moyenne de 3 points pour les participants en surpoids et obèses. Ce déclin est expliqué par la condition physique «musculosquelettique», en non à la composante «cardio­respiratoire» (endurance). Le déclin de la condition physique observé chez les conscrits suisses en surpoids au fil des années de recrutement ne peut pas être expliqué par un IMC plus élevé, car il est resté stable dans cette population pendant les quinze années étudiées. En particulier, l’influence de la pandémie de COVID semble être exclue car la tendance est continue depuis 2007, et les changements de mode de vie pendant la pandémie dans cette population semblent avoir été modestes [10]. Il est donc possible que des facteurs liés au mode de vie moderne, tels que le comportement sédentaire (c’est-à-dire le temps passé principalement assis) et des habitudes alimentaires malsaines, contribuent à une augmentation de l’impact négatif du surpoids sur la condition physique. Finalement, la détérioration de la composante «musculosquelettique» pourrait s’expliquer par le fait que la composante «cardiorespiratoire» est davantage influencée par des facteurs génétiques et moins sensible aux facteurs environnementaux [11].

Figure 3: Évolution du score du test de recrutement militaire, selon le statut pondéral. Recrutement de l’Armée suisse, 2007–2022.

Au-delà des implications militaires, l’association marquée entre l’obésité et la faible condition physique, qui tend à s’aggraver avec le temps, présente des enjeux importants pour la santé publique. Cette problématique nécessite des interventions ciblées sur le mode de vie des individus en surpoids ou obèses, en mettant l’accent sur la préservation de leur condition physique musculosquelettique, notamment la force musculaire, la puissance et la coordination. Cependant, notre étude présente certaines limites, notamment son design transversal qui empêche de clarifier la causalité entre l’excès de poids et la condition physique et l’utilisation exclusive de l’IMC comme indicateur du statut pondéral. À l’avenir, les études pourraient intégrer des mesures plus complètes du statut pondéral (telles que la bio-impédance ou la mesure de la circonférence de la taille) et utiliser un échantillon plus représentatif de la population générale.

Références

  1. Organisation mondiale de la Santé. Obésité et surpoids. [Disponible
    à: https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-
    overweight]
  2. Office fédéral de la santé publique OFSP. [Disponible à: https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/gesundheitsfoerderung-und-praevention/koerpergewicht/uebergewicht-und-adipositas.html%5D
  3. K. Staub, J. Floris, N. Koepke, A. Trapp, A. Nacht, S. Scharli Maurer, et al. Associations between anthropometric indices, blood pressure and physical fitness performance in young Swiss men: a cross-sectional study. BMJ Open, 8 (6) (2018), p. e018664.
  4. T. Wyss, L. Roos, F. Studer, U. Mader, C. Beuchat, K. Staub. Development of physical fitness performance in young Swiss men from 2006 to 2015. Scand J Med Sci Sports, 29 (4) (2019), pp. 586-596.
  5. P.W. Sanderson, S.A. Clemes, K.E. Friedl, S.J.H. Biddle. The association between obesity related health risk and fitness test results in the British Army personnel. J Sci Med Sport, 21 (11) (2018), pp. 1173-1177.
  6. T.R. de Lima, P.C. Martins, Y.M.F. Moreno, J.P. Chaput, M.S. Tremblay, X. Sui, et al. Muscular Fitness and Cardiometabolic Variables in Children and Adolescents: A Systematic Review Sports Med, 52 (7) (2022), pp. 1555-1575.
  7. I. Fernandez, O. Canet, M. Gine-Garriga. Assessment of physical activity levels, fitness and perceived barriers to physical activity practice in adolescents: cross-sectional study. Eur J Pediatr, 176 (1) (2017), pp. 57-65.
  8. T. Wyss, B. Marti, S. Rossi, U. Kohler, U. Mäder. Assembling and Verification of a Fitness Test Battery for the Recruitment of the Swiss Army and Nation-Wide Use. Schweizerische Zeitschrift Für Sportmedizin und Sporttraumatologie, 55 (4) (2007), pp. 126-131.
  9. Office fédéral du sport OFSPO. Sport dans l’armée: Test de fitness de l’armée pour le recrutement. [Disponible à: https://www.baspo.admin.ch/fr/sport-dans-larmee-test-de-fitness-de-larmee-pour-le-recrutement%5D
  10. S. Meili, M. Brabec, F. Ruhli, T.W. Buehrer, N. Gultekin, Z. Stanga, et al. Body mass index in young men in Switzerland after the national shutdowns during the COVID-19 pandemic: results from a cross-sectional monitoring study at the population level since 2010. Eur J Public Health., 32 (6) (2022), pp. 955-961.
  11. J.R. Zadro, D. Shirley, T.B. Andrade, K.J. Scurrah, A. Bauman, P.H. Ferreira. The Beneficial Effects of Physical Activity: Is It Down to Your Genes? A Systematic Review and Meta-Analysis of Twin and Family Studies. Sports Med Open, 3 (1) (2017), p. 4.

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