Médecin moderne, médecin connecté?

Jeannot JG1
1 Policlinique médicale universitaire, Lausanne

Abstract

Digital media must help to answer the current challenges in healthcare systems. Medicine’s growing complexity requires a smart use of digital opportunities to offer our patients efficacious and safe treatments. In order for digital media development to correspond to healthcare practitioners’ needs, it is essential that they take an interest to it, and dedicate some of their precious time. Internet, social media and the Internet-of-things constitute three domains that illustrate the
potential and limitations of digital health.

Résumé

Le numérique doit permettre de répondre aux défis actuels du système de santé. La complexité grandissante de la médecine nécessite une utilisation intelligente du digital par les professionnels de la santé pour offrir aux patients des soins efficaces et sûrs. Pour que les développements numériques correspondent aux besoins des professionnels et des patients, il est essentiel qu’ils s’y intéressent et s’y investissent. Internet, les médias sociaux et les objets connectés constituent trois domaines qui illustrent les potentialités et les limites de la santé digitale.

Notre système de santé fait face à un certain nombre de défis, l’innovation doit nous permettre d’y répondre. Le numérique est un des moyens pour y parvenir, avec la simple ambition de soigner nos patients de façon plus efficace, plus sûre. Et pour que ces outils et services répondent aux besoins des professionnels de la santé et des patients, les médecins doivent jouer un rôle actif dans cette digitalisation du système de santé.
Une lettre publiée récemment dans le British Medical Journal [1] avait comme titre Digital innovation is needed to deal with complexity of current medicine. L’auteur, un médecin généraliste, y cite un article de 1998 [2] où l’on pouvait lire cette phrase: «Medicine used to be simple, ineffective, and relatively safe. It is now complex, effective, and potentially dangerous».
Les raisons qui justifient le recours au numérique en médecine sont multiples, la plus importante est probablement en effet la complexité actuelle de l’activité médicale. Le numérique doit aider les professionnels de la santé à gérer la quantité toujours plus grande de données produites par le système de santé. Même si des dangers existent, le numérique offre aux médecins la possibilité d’exercer une médecine moderne, efficace, vivante.

La santé numérique

Les discussions sur l’utilisation du numérique en médecine sont souvent complexes et confuses, la principale raison étant que cette notion de «santé digitale» englobe des objets et des notions très divers: le dossier médical informatisé mais aussi Internet, les objets connectés, la télémédecine, l’intelligence artificielle, etc., il est donc logique que la plupart des professionnels de la santé aient des difficultés à définir ce qui dans ce monde numérique peut leur être utile. Cet article a comme ambition de permettre à chacun, au travers de quelques exemples, de mieux comprendre ce qu’est cette médecine digitale et son impact futur sur le quotidien des soignants.
Deuxième élément, il faut rappeler que le numérique n’est qu’un moyen, il ne doit jamais être vu comme une finalité. La technologie en elle-même n’a aucun intérêt, c’est son utilité potentielle qui doit intéresser les médecins.
Troisième élément, évoluer c’est aussi savoir garder ce qui est bon dans le système actuel. Le quotidien des médecins ne va pas du jour au lendemain tomber dans une médecine futuriste, le changement sera progressif, insidieux, le monde de la santé vivra dans un monde hybride de nombreuses années. Cette phase de transition prendra fin lorsque l’on ne parlera plus de santé connectée, de télémédecine, ces nouveautés étant complétement intégrées dans le quotidien des médecins.
Quatrième élément, le recours à l’informatique ne signifie pas l’abandon de l’humain. Ce n’est pas «technologie» ou «humain», les solutions qui s’imposeront seront le plus souvent celles qui auront réussi à combiner technologie et humain.
Ci-dessous, trois exemples qui illustrent l’utilité du numérique et le rôle que les médecins peuvent y jouer: Internet, les médias sociaux et les objets connectés.

Internet

Une révolution pour les professionnels de la santé [3] comme pour les patients. [4] Internet est actuellement la source d’informations la plus efficace pour répondre aux nombreuses questions que rencontre le médecin dans son quotidien. Même si cela nécessite un certain apprentissage, utiliser Internet en médecine n’est pas compliqué. Google, le Compendium suisse des médicaments, l’annuaire des médecins de la FMH, Safetravel, UpToDate; n’importe lequel de ces sites justifie déjà par lui-même la présence d’un ordinateur connecté sur le bureau du médecin.
Des études réalisées en médecine ambulatoire montrent que les médecins se posent en moyenne plus de trois questions tous les dix patients [5] mais ne cherchent la réponse que dans une minorité des cas, le plus souvent par manque de temps. [6,7] L’accès aux informations manquantes pourrait modifier une partie des décisions: «lors d’une demi-journée normale de consultations, quatre décisions auraient pu être différentes si l’information requise par le médecin avait été disponible au moment du face à face avec le malade». [7] Actuellement, Internet est capable de répondre à une partie de ces interrogations, pourquoi s’en priver?
Pour ce qui est des patients, que cela plaise ou non à leurs médecins, ils utilisent Internet pour y rechercher des informations relatives à la santé. L’objectif est d’être mieux informé, avant ou après la consultation. Face à ces patients qui cherchent des informations santé sur Internet, le médecin peut conseiller des sites de qualité, que ce soit des portails médicaux ou des sites consacrés à une maladie spécifique. Les soignants ne doivent pas voir l’utilisation d’Internet comme une menace mais plutôt comme une opportunité pour renforcer la relation médecin-patient.
Pour le médecin, la première étape est d’être prêt à échanger avec son patient sur les informations trouvées sur Internet. La seconde étape est de conseiller à ses patients des sites de qualité. Cela peut être soit un portail médical, soit un site consacré à une maladie spécifique.
Pour les patients, le premier site qui peut être proposé est le portail Planète santé (www.planetesante.ch), il contient des informations vulgarisées de qualité. Pour les patients anglophones, les alternatives sont nombreuses, on peut par exemple penser à MedlinePlus ou à UpToDate Patients. Il existe aussi des portails pour des publics cibles spécifiques, Ciao.ch pour les adolescents ou http://www.monenfantestmalade.ch, créé par les Hôpitaux universitaires de Genève, pour les parents d’enfants malades.
Pour ce qui est des sites consacrés spécifiquement à une maladie, il existe de nombreux sites de qualité, la difficulté est de les connaître. Une astuce simplissime permet de les trouver: il suffit sur n’importe quel moteur de recherche d’ajouter le mot «suisse» à la maladie recherchée. Ainsi, la requête «diabète suisse» permettra de découvrir le site de l’Association suisse du diabète, la recherche «fibromyalgie suisse» les sites de l’Association suisse des fibromyalgiques et «arthrose suisse» le site de la Ligue suisse contre le rhumatisme.

Le numérique doit permettre de répondre aux défis actuels du système de santé.

Les médias sociaux

Utiliser Facebook, Twitter et YouTube en médecine? Nous avons tous à y gagner. Les médias sociaux ont un rôle essentiel à jouer en médecine, pour les professionnels de la santé comme pour le grand public.
Une revue systématique publiée en 2013 [8] a analysé l’utilisation, les bénéfices et les limitations des médias sociaux pour la communication santé pour le grand public, les patients et les professionnels de la santé.
On peut y lire:
«Les médias sociaux changent la nature et la vitesse des interactions entre les individus et le monde de la santé. Le grand public, les patients et les professionnels de la santé utilisent les médias sociaux pour échanger sur des sujets médicaux. Aux Etats-Unis, 61% des adultes effectuent des recherches en ligne et 39% utilisent les médias sociaux comme Facebook pour y chercher des informations médicales».
Pour ce qui est de l’Europe, il existe par exemple des chiffres sur l’utilisation des réseaux sociaux chez les malades chroniques:
«Recherchant des témoignages de pairs, les malades chroniques sont des internautes communautaires: 48% participent à des chats ou des forums. Près de 7 sur 10 (67%) disposent d’un profil Facebook et 20% d’un compte Google Plus. Les personnes souffrant de maladies chroniques disposent, dans près de 20%, d’un compte sur le forum d’une association ou sur une communauté de patients».
Les bénéfices potentiels sont nombreux, on peut par exemple citer:

  1. L’augmentation de l’accessibilité à l’information santé, les médias sociaux sont par exemple un puissant outil pour diffuser de l’information santé vulgarisée.
  2. L’augmentation de l’interactivité entre le grand public, les patients et les professionnels de la santé, une interactivité indispensable pour évoluer vers une médecine moderne.
  3. La capacité des réseaux sociaux à jouer un rôle de soutien social et émotionnel, on peut notamment penser aux patients atteints de maladies graves, de cancer notamment.

Il existe aussi bien sûr des dangers. Le premier est certainement le problème de la qualité de l’information. On trouve sur Internet des informations de qualité très variée. Mais c’est à notre avis plutôt une raison pour encourager les profes-
sionnels de la santé et les patients à mieux connaître les
réseaux sociaux. Deuxième danger, Internet et les médias sociaux doivent être utilisés par les patients pour s’informer, pas pour s’auto-diagnostiquer.
L’idée n’est pas que chaque médecin devienne actif sur les médias sociaux, il nous parait cependant important que tous connaissent les possibles utilisations des réseaux sociaux, que ce soit pour les professionnels de la santé eux-mêmes ou pour les patients.
Les institutions santé d’une certaine importance ne doivent-elles pas se priver de ce puissant outil de communication. Pour ce qui est de l’utilisation des médias sociaux dans les hôpitaux de Suisse romande, l’acteur le plus dynamique est sans conteste les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Les HUG sont présents sur Facebook, Twitter, YouTube (certaines vidéos vues plus de 300 000 fois), DailyMotion, LinkedIn, Google+ et Pinterest. 

Les objets connectés

Un bel exemple des possibilités et des limites de la technologie. [9] Un bel exemple aussi de l’indispensable implication des professionnels de la santé dans cet univers numérique pour que les outils développés soient médicalement utiles.
Il y a actuellement une grande confusion entre les objets connectés «santé» et ceux qui ont une réelle utilité médicale, prouvée scientifiquement. L’objet connecté le plus célèbre est sans aucun doute le podomètre. Premier élément, les 10 000 pas qu’il faut atteindre quotidiennement… Cette recommandation de l’OMS remonterait aux années 60 [10] et n’a aucune valeur scientifique. Les fabricants d’objets connectés dédiés à la santé citent tous ces recommandations de l’OMS pour en justifier l’usage. Avec des raccourcis souvent rapides. Les recommandations actuelles [11] de l’OMS sont plus élaborées et individualisent les recommandations. Pourquoi fixer comme objectif 10 000 pas à une personne en surpoids pour qui  5000 pas est déjà un réel progrès?
Cette limite des 10 000 pourrait même être contreproductive. Comment se sentent les très nombreuses personnes qui ne parviennent pas à effectuer ces 7500 ou ces 10 000 pas quotidien? Déçues? Coupables? Dévalorisées? Au risque pour elles de marcher encore moins après leur adhésion à ce programme.
Mais il y a aussi le problème de la fiabilité des objets connectés. Sont-ils fiables? Il y a évidemment autant de réponses que de capteurs. Une étude de l’Université de Stanford [12] a par exemple montré que la plupart des capteurs mesurent la fréquence cardiaque avec précision mais que le calcul des dépenses énergétiques était très imprécis, avec des erreurs allant selon les appareils de 27 à 93%. Comme pour tout dispositif médical, les professionnels de la santé sont en droit d’attendre que l’utilité de ces objets soit prouvée scientifiquement.
Il y a heureusement parmi ces gadgets un certain nombre d’objets connectés qui ont une réelle utilité médicale. Vous trouverez à titre d’exemple en annexe une présentation des capteurs de la société Gait Up, une spin-off de l’EPFL, qui permet d’effectuer des analyses de précision de la marche et de la course.

Conclusions

Il y a Internet, les médias sociaux et les objets connectés mais aussi le courrier électronique, le dossier médical informatisé, le dossier patient, la télémédecine, le big data, l’intelligence artificielle et mille autres sujets, les impacts du numérique sur le monde de la santé sont innombrables. Le quotidien des professionnels de la santé va être insidieusement mais fondamentalement modifié par ces nouveaux outils et ces nouveaux services. Il est indispensable que les professionnels
s’y intéressent pour que les développements à venir leur permettent d’exercer leur métier avec efficacité. Ce monde numérique étant complexe, des formations doivent impérativement être proposées aux professionnels de la santé.

Implications pratiques

  • Le numérique va provoquer des changements importants dans le monde de la santé, des changements qui auront un impact sur le quotidien des médecins.
  • Pour que les développements numériques correspondent aux besoins des professionnels de la santé et des patients, il est essentiel qu’ils s’y intéressent et s’y investissent.
  • Des formations en santé digitale seront certainement nécessaires pour permettre aux professionnels de la santé d’acquérir les connaissances et compétences nécessaires à cette «nouvelle» médecine.

Gait Up est une spin-off de l’EPFL, née d’un partenariat entre le laboratoire d’analyse du mouvement de l’EPFL et le CHUV. Bénéficiant de plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de l’analyse du mouvement, la société propose un système d’analyse de la marche et de la course basé sur un capteur inertiel disposé à chaque pied.
La richesse de ce système n’est pas tellement celles de ses capteurs mais plutôt des algorithmes qui permettent d’interpréter les mesures effectuées.

Pour ce qui est de la marche, schématiquement, son utilité est double. Le système peut être soit utilisé comme un moyen de dépistage, par exemple chez les personnes âgées. Une mesure particulièrement utile lorsque l’on sait que
la vitesse de marche, associée au genre et à l’âge, permet
de prédire la mortalité à 5 ans pour les patients au-delà de
65 ans. [13] Deuxième utilité, chez des patients atteints dans leur mobilité, Parkinsonien par exemple, l’analyse des mouvements permet d’évaluer les patients avant et après une modification de traitement. La mesure, qui ne prend que quelques minutes, peut être répétée régulièrement, des mesures itératives particulièrement utiles pour suivre par exemple les progrès d’un patient en réhabilitation.
Après la tension artérielle, la fréquence cardiaque, la température corporelle, le poids et la taille, l’analyse du mouvement fera peut-être bientôt partie de l’évaluation de tout patient.

Contact auteur

Jean Gabriel Jeannot
Faubourg du Lac 12
2000 Neuchâtel
Médecin agréé projets santé digitale
Policlinique médicale universitaire
Lausanne
Tél. + 41 32 710 11 12
E-mail: jeannot@medplus.ch

Références

  1. Martin PA. Digital innovation is needed to deal with complexity of current medicine. MJ 2017;357:j2750
  2. Chantler C. Reviews. BMJ1998;357:1666
  3. Jeannot JG. L’utilisation d’Internet en médecine n’est plus une option. Rev Med Suisse 2015; volume 11. 1060-1063
  4. Jeannot JG, Bischoff T. Patients, médecins et Internet. Rev Med Suisse 2015; volume 11.1064-1068
  5. JW Ely JA Osheroff MH Ebell Analysis of questions asked by family doctors regarding patient care. BMJ 1999 (319)
  6. D Covell G Uman P. Mannig Information needs in office practice. Are they being met?. Ann Intern Med 1985 (103)
  7. P Gorman M. Helfand Information seeking in primary care: How physicians choose which clinical questions to leave unanswered?. Med Decis Making 1995 (15)
  8. Moorhead SA, Hazlett DE, Harrison L, Carroll JK, Irwin A, Hoving C. A New Dimension of Health Care: Systematic Review of the Uses, Benefits, and Limitations of Social Media for Health Communication. J Med Internet Res 2013;15(4):e85
  9. temps.ch/dr-jean-gabriel-jeannot/2017/06/08/medecine-les-objets-co-
    nnectes-sont-inutiles. Dernier accès le 06.09.2017.
  10. Grau E. Faut-il vraiment faire 10 000 pas par jour? http://www.femina.ch/societe/sante/faut-vraiment-faire-10000-pas-par-jour. Dernier accès le 06.09.2017.
  11. Recommandations mondiales en matière d’activité physique pour la santé. http://www.who.int/dietphysicalactivity/factsheet_recommendations/fr/. Dernier accès le 06.09.2017.
  12. Dusheck E. Fitness trackers accurately measure heart rate but not calories burned. https://med.stanford.edu/news/all-news/2017/05/fitness-trackers-accurately-measure-heart-rate-but-not-calories-burned.html. Dernier accès le 06.09.2017.
  13. Studenski S, Perera S, Patel K, Rosano C, Faulkner K, Brach J, et al. Gait Speed and Survival in Older Adults. JAMA. 2011;305(1):50-58.

 

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