SEMS-journal

Psycho-educational group discussions: effective tool to reduce overload in adolescents facing a dual career challenge in sports/arts and studies?

Les discussions psycho-éducatives de groupe: un outil efficace pour diminuer la surcharge des ­adolescents face au défi de la double carrière sport/art-études?

Mattia Piffaretti, PhD – AC&T Sport Consulting, Lausanne
Francesca Pedrazzini-Pesce – Resp. scolarizzazione talenti. Ufficio educazione fisica scolastica, ­Divisione scuola, Dipartimento educazione, cultura e sport, Bellinzona.

Abstract

Pendant les années 2011–2013, 151 jeunes talents sportifs et artistes du programme pour talents sportifs et artistiques du Canton du Tessin («Programme pour talents SMS») ont participé à un projet de suivi de leur santé sur le plan psychologique. Les objectifs visés par ce projet étaient l’évaluation du risque de surcharge psychologique de la population observée et le test de l’efficacité d’une intervention psycho-éducative de groupe pour réduire ce risque. Les jeunes talents – subdivisés en un groupe intervention (n=28) et un groupe contrôle (n=123) – ont rempli un questionnaire d’entrée (PRE), mesurant les paramètres psychologiques tels que l’anxiété, les motivations intrinsèques, ainsi que quatre facteurs de burnout et la perception d’un conflit d’intérêt entre pratique sportive/artistique et études. 8 mois après, ils ont été à nouveau interrogés au moyen du même questionnaire (POST), complété par des questions d’évaluation finale. Les réponses aux questionnaires d’entrée ont permis de montrer que 57.6% de l’ensemble des jeunes talents sont potentiellement à risque de surcharge psychologique. Aussi, au terme de l’intervention, les valeurs enregistrées relatives à la perception du conflit d’intérêt entre sport/art et études, et le sentiment de perte de signification ont sensiblement diminué auprès du groupe intervention en comparaison au groupe contrôle. En conclusion, aux vues des résultats de l’étude, l’article invite à réfléchir à des concepts de suivi médico-sportif pour talents scolarisés au niveau secondaire supérieur, dans lesquels une prophylaxie psycho-sportive telles que les groupes de discussion psycho-éducative pour adolescents sportifs et artistiques soit intégrée. Une telle mesure peut en effet renforcer la résilience de ces jeunes talents, au travers d’outils de gestion du stress et de conciliation entre sport/art et études.

Zusammenfassung

In den Jahren 2011–2013 haben 151 junge Sporttalente und Künstler des Sporttalent- und Kunst-Programmes des Kantons Tessin («Talentprogramm SMS») an einem Projekt zur Verlaufsbeobachtung ihrer psychologischen Gesundheit teilgenommen. Die Ziele dieses Projektes waren die Evaluation der psychologischen Belastung der Studienpopulation und die Abschätzung des Nutzens einer psychoedukativen Intervention zur Risikoreduktion. Die jungen Talente, unterteilt in eine Interventionsgruppe (n=28) und eine Kontrollgruppe (n=123), haben einen Eintrittsfragebogen ausgefüllt, welcher die psychologischen Parameter wie die Ängstlichkeit, die intrinsischen Motivationen, sowie vier Faktoren von Burnout und Wahrnehmung des Interessenskonfliktes zwischen sportlichen/künstlerischen Tätigkeit und Studium enthielt. 8 Monate später sind sie erneut anhand desselben Fragebogens interviewt worden, der durch einige Abschlussfragen ergänzt worden ist. Die Antworten im Eintrittsfragebogen zeigen, dass 57.6% aller jungen Talente für eine psychologische Überlastung potenziell gefährdet sind. Ausserdem zeigte sich in der Interventionsgruppe im Vergleich zur Kontrollgruppe eine sinnvolle Abnahme in der erzielten Punktzahl bei der Wahrnehmung des Interessenskonfliktes zwischen Sport/Kunst und Studium, sowie beim Sinnesverlust. Zusammenfassend lässt sich angesichts dieser Studienresultate sagen, dass der Artikel Anlass zum Nach­denken gibt über die sportmedizinische Betreuung von schulpflichtigen Talenten ab der höheren Sekundarstufe, damit eine sportpsychologische Prophylaxe wie psychoedukative Gruppendiskussionen für jugendliche Sportler und Künstler systematisch eingebaut werden kann. Eine solche Massnahme kann die Widerstandsfähigkeit dieser jungen Talente verstärken, indem ihnen Werkzeuge zur Vereinbarung von Sport/Kunst und Studium sowie zur besseren Planung ihrer Doppelkarriere gegeben werden wird.

Annotation relative à l’article

Les auteurs remercient le Département d’Education, Culture et Sport du Canton du Tessin pour le soutien scientifique et financier relatif au projet de monitorage de la santé des jeunes talents sportifs et artistiques, d’où sont tirées les données contenues dans le présent article.

Introduction

Dans les années 1990 déjà, le phénomène du conflit d’intérêt entre le sport de haut niveau et la scolarité a été clairement identifié par Greenspan et Andersen [1] comme un des défis majeurs dans le développement de la carrière d’une jeune sportif. Ils montraient comment le rôle d’«étudiant» et de «sportif» mène presque inévitablement à des difficultés considérables, pouvant prendre la forme de fatigue, de blessures ou autres manifestations d’ordre psychosomatique, et dans certains cas se transformant dans des syndromes de surcharge allant jusqu’au burnout [2]. A terme, ce conflit peut aussi engendrer un risque pour la scolarité des jeunes, ou l’échec de leurs projets sportifs. Essentiellement, le conflit s’explique par une difficulté de la gestion du temps, et aux besoins accrus identifiés simultanément sur le plan personnel, sportif et structurel [3, 4, 5], menant dans la plupart des cas à l’abandon de la pratique sportive [5; 6]. En Suisse, une enquête menée dans le canton de Genève a relevé que le taux de burnout [8] reste élevé dans la population des étudiants-athlètes-danseurs, ce qui affecte à la fois leur réussite scolaire et à la fois leur parcours dans le sport ou dans la danse [9]. Certains paramètres psychologiques seraient en cause et mettraient les jeunes talents sous une contrainte supplémentaire. Le premier facteur est celui des orientations motivationnelles des jeunes. En effet, selon la théorie de l’auto-détermination [10], il existe des motivations intrinsèques (à savoir des motivations qui suscitent l’envie de pratiquer le sport de façon «gratuite», sans d’autres fins que la progression personnelle, le plaisir et l’auto-réalisation) et d’autre part des motivations extrinsèques (des motivations qui suscitent l’envie de pratiquer le sport avec une fi­nalité secondaire: statut, comparaison avec autrui, reconnaissance). Plusieurs études [11, 12] ont montré que des taux élevés de motivation intrinsèque sont associés à une plus grande persévérance et capacité à gérer les obstacles relatifs à une carrière sportive, tout en jouant un rôle dans la vulnérabilité au surentraînement et au burnout [13]. Le deuxième facteur intervenant de façon decisive dans le risque de surcharge et de burnout des jeunes sportifs est celui de l’anxiété (pré-)competitive [12], à savoir une réponse émotionnelle traduisant la perception d’un stress ressenti par l’athlète face au défi sportif, compte tenu de ses stratégies de faire face à la demande («coping»). Déjà à partir des années ’90 ce facteur cognitivo-affectif avait été identifié comme un précurseur important dans la surcharge psychique du jeune sportif [7, 12, 14].
Les données de la littérature ont fait prendre conscience de la nécessité d’organiser des formes d’intervention psychologiques spécifiques à l’adolescent sportif [15] en appoint aux mesures d’aménagement structurel (sport/art-étude). Plus spécifiquement au risque de surcharge psychologique auprès de ces jeunes talents scolarisés dans des structures publiques en Suisse, des mesures de soutien ont vu le jour à partir des années ’90. Précurseur dans ce domaine, le Canton de Genève avait organisé grâce au Centre de Médecine de l’Exercice (CME) du Service de Santé de la Jeunesse un service de suivi medico-psychologique, finalisé à la prevention des bles­sures des jeunes sportifs et danseurs, ainsi qu’à la diminution du risque de surcharge psychologique [16]. Sur le plan des interventions psychologiques, le CME avait couplé une approche psycho-éducative en classe, avec des interventions individuelles en conseil cognitif pour jeunes sportifs [17, 18].
A la suite de ces premières experiences, en cohérence aux récentes données de la littérature soulignant le rôle du groupe de pairs pour réduire la perception de burnout chez les jeunes sportifs [19], le cabinet AC&T Sport Consulting a élaboré le concept d’intervention des «groupes de discussion psycho-­éducatives pour adolescents» en 2010, décrite dans plus de détail dans la partie méthodologique. Le cabinet de psychologie du sport a proposé cette intervention dans le cadre du «programme pour talents SMS» du Canton du Tessin [20]. L’efficacité de cette intervention pour diminuer le risque de surcharge des jeunes talents a été possible grâce à la collaboration neutre de l’Office de monitorage du DECS du Canton du Tessin.

Figure 1: Design de l’étude

Méthodologie

La figure ci-dessous représente le design de l’étude.
Grâce à la coordination du DECS et des directions des six établissements scolaires accueillant des jeunes sportifs d’élite et des artistes (danseurs et musiciens) dans le cadre du «programme pour talents SMS», 151 étudiants (âge moyen 16.2±1.1 ans) ont adhéré au projet de monitorage de leur santé psycho-sportive. L’échantillon est constitué de 51 filles et 100 garçons, pratiquant un total de 22 activités et répartis selon 4 niveaux d’études: classe 1ère (n=52), classe 2ème (n=30), classe 3ème (n=36) et classe 4ème (n=28).
Le monitorage consiste en deux points d’évaluation sur la base de questionnaires standards, auquel s’est ajouté un questionnaire d’évaluation qualitative (avec possibilité d’écrire des commentaires libres) proposé uniquement en fin d’intervention. Les talents ont été informés par leur direction de la possibilité de participer à l’étude, et ont pu signer une lettre de consentement éclairé. Aucune commission d’éthique n’a été sollicitée, le DECS se portant garant du respect des règles concernant la recherche en milieu humain. En entrée (PRE), les questionnaires ont été remplis lors d’une séance d’introduction du projet, qui a été organisée dans chacun des éta­blissements scolaires de façon séparée, en présence du psychologue du sport dont le rôle a été de répondre à d’éventuelles questions de compréhension. En fin d’intervention (POST), ­
8 mois après, une séance similaire a été organisée afin de compléter les questionnaires de sortie et de donner un retour d’information finale aux talents.
Le questionnaire standard soumis est la version italienne d’un questionnaire validé en langue française sur une population d’adolescents sportifs de Suisse Romande et utilisé sur 156 jeunes sportifs dans le but d’identifier les facteurs de surcharge et le risque d’abandon de ces mêmes talents [8, 9]. Cet inventaire reprend et adapte un questionnaire mesurant l’anxiété pré-compétitive de trait (Sport Competition Anxiety Test, SCAT [23]), des facteurs associés au burnout chez le jeune sportif (niveau de fatigue mentale, sentiment de compétence dans leur activité, signification attribuée au sport/art, équi­libre dans la conciliation sport/art-étude (Eades Athlete Burnout Inventory, EABI [22]), et les motivations sportives (Bizzini [17]). Le tableau 1 ci-dessous décrit les seuils considérés pour déterminer un niveau de risque élevé en fonction de l’échelle utilisée.

Tableau 1: Échelles utilisées et détermination du seuil de risque de surcharge: Bizzini [17], EABI [22] et SCAT [23].

Chacun des facteurs choisis constitue un potentiel indicateur du risque de surcharge psychique plus ou moins accru pour l’adolescent selon des barèmes extrapolés des études précédentes [9, 23]. Pour chacun de ces facteurs, des scores moyens permettent de déterminer un seuil au-delà duquel les valeurs sont à considérer comme élevées, et donc associées à un plus grand risque de surcharge psychologique.
Quant aux questions ajoutées dans le questionnaire de sortie, elles portent sur l’évaluation qualitative que le talent donne du programme pour talents SMS, sur les éventuelles marges d’optimisation de ce programme, ainsi que sur l’expérience des groupes de discussion psycho-éducative pour ceux qui ont voulu en bénéficier.
En effet, un «groupe d’intervention» (n=28, soit 18.5% de l’échantillon), composé de jeunes talents qui ont volontairement donné leur accord pour participer à des séances de discussion de groupe, s’est différencié d’un «groupe contrôle» (n=123, 81.5% de l’échantillon), qui ne participe à aucune intervention. Les raisons principales d’une non-participation aux groupes de discussion étaient le manque perçu de temps à disposition, compte tenu d’un programme hebdomadaire déjà très chargé réparti entre engagements sportifs/artistiques et engagements scolaires. Parmi les participants aux groupes de discussion, 22 ont été identifiés comme étant à risque suite à leurs réponses au questionnaire d’entrée, alors que 6 n’étaient pas à risque. Les rencontres ont été enregistrées et retranscrites verbalement par l’Office de monitorage du DECS. Elles ont pu rentrer dans l’analyse finale des résultats pour compléter les données quantitatives de l’étude. Pour les talents dont l’âge ne dépassait pas les 16 ans, un accord écrit a été obtenu par leur autorité parentale.
Plus spécifiquement, l’intervention «groupes de discussion psycho-éducative pour adolescents» se compose de 5 séances dans des groupes formés de 5 à 8 jeunes provenant de milieux sportifs et musicaux variés. Les discussions de groupe sont animées par une psychologue du sport, ceci sur la base du manuel «Maintenir les Promesses» élaboré par Piffaretti [21], afin d’assurer le fil conducteur des séances. Pendant celles-ci, d’une durée de 75 minutes chacune, le psychologue anime la réflexion des talents sur les différents thèmes psycho-éducatifs, en passant en revue 3 à 4 questions décrites dans chacun des chapitres du manuel, tout en encourageant chaque talent à s’exprimer et échanger ses propres expériences et stratégies personnelles de gestion, relatives à un thème spécifique: gestion du stress, clarification des motivations, désamorçage des conflits avec l’entourage, gestion des blessures ou autres facteurs empêchant l’activité sportive/artistique, et conciliation entre la formation scolaire et l’activité pratiquée.

Résultats

Les résultats sont présentés séquentiellement en fonction des objectifs principaux de l’étude, à savoir 1) l’identification de facteurs de risque de surcharge chez les jeunes talents, et 2) l’efficacité des «groupes de discussion psycho-éducative» pour réduire ce risque. Les valeurs rapportées sont les moyenne ± déviation standard.

Identification des facteurs de risque

Avant tout, l’étude de monitorage de la santé a montré qu’en début d’intervention, le questionnaire est parvenu à identifier un certain nombre de dimensions psychologiques sur lesquelles les talents se différenciaient, définissant un groupe de talents à risque plus élevé de surcharge (RISK) d’un groupe de talents à bas risque de surcharge (NORISK). Cette répartition a permis de dégager la composition suivante de l’échantillon (tableau 2).

Tableau 2: Profil des participants en fonction du risque de surcharge

Globalement, indépendamment de l’appartenance au groupe intervention ou contrôle, 57.6% de l’échantillon est à considérer à risque plus élevé de surcharge psychologique. Cette distinction se base avant tout considérant les scores d’anxiété (cf. Figure 2).
En ce qui concerne l’anxiété pré-compétitive (dans le sport ou dans l’activité artistique), les scores permettent de distinguer un groupe de jeunes RISK (N=85, RISK=21.94±4.75) d’un groupe de talents NORISK (N=70, NORISK=17.79±4.12, p<.0001).
Une différence analogue entre les deux groupes RISK et NORISK se reflète au niveau de l’anxiété en milieu scolaire, avec un score moyen RISK=3.93±1.14 supérieur de façon ­significative (p<.0001) à NORISK=3.27±0.9. A noter que les valeurs moyennes sur l’ensemble de l’échantillon (m=20.06±4.92) sont à considérer dans la norme. Le graphi­que 1 illustre ces différences. En maintenant ces deux mêmes groupes de référence RISK et NORISK, les données ont montré qu’ils se différencient de façon analogue également sur l’ensemble des quatre dimensions extraites du questionnaires EABI [22]. Les résultats sont illustrés dans le Figure 3. Tout d’abord, en ce qui concerne l’usure mentale, la moyen­ne des valeurs enregistrées pour le groupe à risque plus ­ élevé (RISK=2.74±0.77) est supérieure à celle du groupe à moindre risque de façon statistiquement significative (NORISK=1.89±0.48, p<.0001). Une différence similaire se ­constate sur les dimensions de perception (négative) de compétence sportive ou artistique (RISK=2.85±0.78 > NORISK=2.13±0.55, p<.0001) et sur la dimension de perte de signification attribuée au sport ou l’activité artistique (RISK=2.65±0.91 > NORISK=1.94±0.57, p<.0001).  La dimension «difficulté perçue de conciliation entre sport/art et études» relève une différence clairement significative entre les deux groupes (RISK=3.46±0.76 > NORISK=2.40±0.52, p<.0001).
Cette dernière donnée est corroborée par les mesures relevées à un item supplémentaire («Conflit entre sport/art et études», cf. figure 4), où s’observe une différence significative entre les deux groupes (RISK=2.01±0.60 > NORISK=1.37±0.51, p<.0001).
Il est intéressant de remarquer que ce n’est que sur ces deux dernière dimensions – la difficulté de conciliation entre sport/art et études, et le conflit d’intérêt – que les scores moyens du groupe RISK dépassent le seuil de la valeur de 3, et respectivement de 2, indiqués dans le tableau 1.

Efficacité de l’intervention «groupe de discussion psycho-éducative pour adolescents»
La mesure de l’efficacité de l’intervention se base sur un échantillon réduit à 141 unités, de par l’abandon du projet de 10 jeunes talents dans le laps de temps des 8 mois. Entre les mesures d’entrée et de sortie, les scores d’entrée relatifs au facteur «Difficulté de conciliation entre sport/art et étude» ont diminué pour les talents du groupe RISK (qu’ils aient participé ou pas aux discussions), alors qu’ils ont augmenté de façon significative pour les talents NORISK du groupe contrôle (PRE=2.38±0.49, POST=2.60±0.62, p<.01).
Les résultats sont confirmés sur l’item «Conflit d’intérêt», qui enregistre une diminution du score pour les talents RISK-groupe intervention. Ces différences ont été significatives ­ en extrapolant une valeur Delta-conflit, c’est-à-dire l’écart moyen de la valeur en entrée (PRE) et la valeur en sortie (POST), comme décrit dans le tableau 3.
L’analyse statistique montre que la valeur «Delta-conflit» pour les talents du groupe intervention RISK se distingue de façon significative (p<.05) des talents RISK-groupe contrôle, ainsi qu’en comparaison des talents NORISK-groupe contrôle (p<.05).
La même procédure de construction d’un score Delta a été appliquée à la dimension «Perte de signification du sport/art», donnant lieu à des différences dans les écarts moyens indiquées dans le tableau 4 ci-dessous.
Le test fait émerger une différence statistique significative (p<.07) entre le «Delta perte» des talents RISK-groupe intervention et les talents NORISK-groupe contrôle.

Figure 2: Valeurs d’anxiété précompétitive et d’anxiété scolaire entre groupe RISK et groupe NORISK

 

Figure 3: Taux comparatifs des dimensions de surcharge psychologique
entre groupe RISK et groupe NORISK

 

Figure 4: Taux comparatifs sur l’item «Conflit d’intérêt sport/art et études» entre groupe RISK et groupe NORISK

D’autres facteurs pouvant être interprétées comme un possible effet positif des groupes de discussion ont été relevées, mais l’écart des scores entre groupe intervention et groupe contrôle n’était pas significatif: diminution de l’usure mentale, augmentation de la perception de compétence sportive/artistique, et augmentation des motivations intrinsèques re­latives à l’école.
Au-delà des données quantitatives, l’analyse qualitative des propos et commentaires des participants enregistrés pendant les discussions de groupe ou notées dans le questionnaire d’évaluation finale ont permis de dégager les principaux effets suivants (illustrés par les citations des talents):

a) au travers des discussions de groupe, les jeunes ont renforcé le sentiment d’identité en tant que talents sportifs ou artistiques.
«J’ai trouvé passionnant de confronter mes expériences avec celles de mes camarades de groupe, en dialoguant avec des jeunes qui comme moi ont des engagements au-delà de l’école pour constater tant de points en commun entre nos expériences» «Les rencontres ont été intéressantes surtout, car elles m’ont aidé à me confronter et parfois même à me reconnaître dans les situations d’autres jeunes» «Je pense que ce groupe de soutien a été très utile, car c’est un très bon moyen pour aider des élèves peut-être en difficultés, mais aussi pour former un groupe soudé» «Le groupe de discussion, à mon avis, a son utilité parce que l’on remarque que, bien que les sports pratiqués soient différents, les difficultés (stress, motivations, etc.) sont les mêmes» «Les séances de groupe ont été constructives, je me réfère à la partie ‹débat›, en me faisant comprendre que je ne suis pas le seul à avoir quelques problèmes avec le sport»

b) ils ont pu valider ou apprendre des stratégies pour faire face aux défis relatifs à leur statut de sportifs/artistes et étudiants.
«Les discussions m’ont donné la possibilité de comprendre pourquoi je réagis d’un certaine façon devant une situation, et du coup de tenter d’améliorer mon comportement» «Les discussions en groupe m’ont été très utiles parce que (…) au travers du dialogue avec des athlètes d’autres disciplines sportives des solutions pratiques à des situations que je rencontre m’ont été proposées. Ces solutions peuvent être appliquées également en dehors du sport»
«Le groupe a été utile car au travers de la confrontation de ce que les autres pensaient, j’ai reçu une aide dans la prise de certaines décisions»

c) les talents ont renforcé la conviction des talents de poursuivre une formation scolaire de qualité en parallèle avec le développement d’une expertise sportive ou artistique.

«Vivre seulement avec le sport c’est dur, donc c’est mieux de se tenir deux possibilités ouvertes» «C’est moi qui ai choisi de faire une école qui demande un vrai engagement, à côté d’une pratique sportives également exigeante. Je comprends maintenant que l’école est presque une aide au sport: sans école je n’y arriverais pas, je me tournerais les pouces du matin au soir. Alors qu’en faisant du sport, je sais quand je dois étudier, je sais ce que je dois faire, etc».

Plus spécifiquement à l’intervention des groupes de discussion, les participants se sont exprimés de manière très positive, en l’identifiant à hauteur de 88.4% (23 sur les 26 talents participant aux groupes de discussion) comme mesure utile pour optimiser la gestion pratique et psychologique d’un double «carrière» sport(art)-étude. A noter que trois jeunes talents sur les 26 participants au groupe (soit 11.5% des talents sensibilisés par les discussions de groupe) ont choisi de poursuivre un travail individuel, afin de traiter de manière plus ciblée des questions qui ont été mises en lumière pendant les discussions de groupe.

Tableau 3: Ecart moyen (Delta) entre valeurs en entrée et en sortie d’intervention pour l’item «Conflit d’intérêt»

Discussion

En reprenant les objectifs fixés au début de la démarche, l’étude permet d’amener quelques éléments de réflexions intéressants.
Tout d’abord, en relation au premier objectif, nous proposons une quantification du risque de surcharge chez les talents sportifs/artistiques scolarisés au niveau secondaire supérieur, sur la base de critères établis dans la littérature. En effet, les résultats relatifs aux questionnaires d’entrée montrent que plus que la moitié des talents de notre échantillon sont, à différents degrés, touchés par ce risque de surcharge. Celle-ci semble s’organiser de manière cohérente autour des mêmes facteurs: anxiété sportive/artistique ou scolaire plus élevés, usure mentale importante, perception négative de compétence sportive/artistique, perte de signification attribuée au parcours sportif ou artistique, et difficulté considérable à concilier les études et la pratique du sport ou de l’art. Parmi les facteurs identifiés, les résultats montrent que la difficulté pour le jeune talent de concilier son activité sportive/artistique avec la formation, et sa perception du conflit d’intérêt entre les deux réalités, assument une dimension encore plus poignante. Ces données confirment les résultats d’études précédentes [1, 3, 4, 5] qui mettent le conflit d’intérêt entre sport et études au centre du défi que constitue le développement de la carrière d’un talent sportif. Ceci d’autant plus que la tranche d’âge considérée dans notre étude constitue celle où ce même conflit d’intérêt serait maximal [4, 5], en comparaison au niveau secondaire [7, 8] voire même plus tard au niveau universitaire [19].
Pour ce qui est du deuxième objectif de l’étude, à savoir le test de l’efficacité des groupes de discussions, les résultats permettent de mettre en lumière un certain nombre d’effets réducteurs du risque de surcharge des jeunes talents scolarisés.
Les difficultés de conciliation entre sport/art et études augmentent sensiblement pour les talents NORISK, en rejoignant des valeurs plus élevées en fin d’année scolaire. S’agissant d’une période de pression plus élevée en raison de différents tests et évaluations décisives pour l’attribution de notes, cette donnée ne doit pas surprendre. Quelle explication peut-on dès lors attribuer au fait que pour les talents RISK cette augmentation des difficultés n’est pas observée, et qu’au contraire les scores moyens diminuent, bien que de façon non significative du point de vue statistique? Une piste explicative est que ces talents RISK ont mis en place des stratégies visant à faire face de façon efficace à cet obstacle dès le début de l’année. Parce qu’ils perçoivent le défi de conciliation précocement, ils mettent en place des stratégies de gestion du stress et de planification de leur charge de travail [12].
Par ailleurs, si ces données ne nous permettent pas de vérifier que les groupes de discussion participent à la construction de stratégies de coping plus efficaces, les valeurs liées à la variable «Delta-conflit» nous amènent des éléments de clari­fication en ce sens. En effet, la différence significative observée entre le «groupe intervention RISK» et le «groupe contrôle RISK» suggère que les talents du groupe intervention ont diminué la perception du conflit d’intérêt en fin d’année. La seule différence entre ces deux groupes de talents étant le fait que les premiers ont participé aux groupes de discussions, nous sommes en raison de croire que cette mesure d’accompagnement participe à la diminution du conflit d’intérêt, et que les talents du groupe intervention RISK pensent que la pratique du sport de compétition ou de leur art ne les empêche pas pour autant de se préparer de façon adéquate aux épreuves scolaires. Les groupes de discussions s’avèrent donc bénéfiques pour la diminution de facteurs de surcharge, en particulier celui de la conciliation sport/art-étude, ce qui confirme l’étude de De Freese et Smith [19].
Aux vues des résultats, ce qui semble se passer au travers des groupes de discussions est l’opportunité pour ces talents de renforcer le sens et la signification attribuée à leurs choix sportif/artistique. Le résultat relatif au «Delta-perte de signification» conforte cette piste: dans le groupe intervention, cette valeur est positive, ce qui équivaut à dire que le sentiment de perte de signification s’estompe au courant de l’année, alors même qu’il grimpe dans le groupe contrôle. En s’identifiant à un groupe reconnu comme celui de «talents scolarisés», ces jeunes voient que cela vaut la peine de se battre pour réaliser leurs rêves, sentent que ce sport et cet art auxquels ils dédient tant d’heures de travail ont une influence positive sur leur vie.
Les données qualitatives nous permettent de toucher plus concrètement aux stratégies de coping qui sont spécifiquement construites au travers des discussions de groupe. Agissant comme un sas de décompression, avec l’opportunité de partager et de recouper ses expériences avec celles des autres, ces groupes permettent de mettre l’accent directement sur les difficultés rencontrées par le sportif et ou le jeune artiste, tout en proposant des solutions, non seulement sous conseil et supervision d’un psychologue du sport, mais surtout des stratégies émergeant de la discussion avec ses propres pairs. Grâce à l’échange avec les autres talents, d’autant plus libre et neutre qu’ils pratiquent des passions différentes, les talents peuvent également mieux s’exprimer et comprendre leurs propres réactions, tout en s’inspirant des stratégies utilisées par leurs camarades dans des domaines analogues.
Ces dernières interprétations permettent également de comprendre l’efficacité de cette typologie interactive d’intervention de groupe, en comparaison à des formats plus frontaux, tels que préconisés dans un certain courant privilégiant des interventions éducatives avec transmission d’information en classe [15, 17], ou alors une approche exclusivement individuelle en conseil cognitif pour jeune sportif [18], qui fait l’impasse sur l’aspect d’identification sociale propre à un travail de groupe. La satisfaction généralisée exprimée par les talents du «groupe intervention» confirme la pertinence de cette méthode à leurs yeux, car elle fournit un cadre à la fois structuré et interactif, pour que les adolescents construisent de façon spontanée des stratégies sur des thèmes d’importance dans la phase de développement qui les concerne.
Les données de la présente étude doivent être néanmoins interprétées à la lumière d’un certain nombre de limites métho­dologiques. Les résultats quantitatifs se basent sur des questionnaires qui ont été validés en langue française, mais pas en langue italienne. Les mesures sont aussi fondées sur une auto-évaluation subjective des talents: il aurait été intéressant de pouvoir mettre les données en relation avec des valeurs plus objectives, telles que les notes scolaires, le niveau compétitif des sportifs, les programmes compétitifs qui diffèrent d’une discipline à l’autre, ou encore la présence ou moins de blessures ou d’autres affections au niveau de la santé physique des jeunes. Ainsi faisant, les liens entre la composante psychologique de la surcharge, la spécificité du sport, la situation scolaire et la santé physique de ces talents auraient pu être montrées de façon plus articulée.

Conclusions

La surcharge constitue un des défis majeurs pour les jeunes talents qui à côté de leur passion sportive ou artistique souhaitent poursuivre une formation de haut niveau afin de garantir leur avenir et planifier une carrière à long terme. La médecine du sport a bien identifié les risques que la surcharge peut représenter pour la santé du jeune athlète, le fragilisant sur le plan des blessures et du surentraînement [2], alors que les milieux scolaires restent parfois sceptiques à accueillir des sportifs d’élite en pensant que leur engagement et leur réussite scolaires pourraient être prétérités par cette même surcharge.
Les résultats de notre étude permettent de faire émerger de façon concrète et tangible la notion d’un profil à risque qu’il s’agit de détecter systématiquement, et qui ouvre la possibili­té dans un deuxième temps d’appliquer des mesures ciblées visant à diminuer les mêmes facteurs associés à la surcharge psychologique du jeune athlète. En évaluant comme mesure d’appoint efficace une intervention couplant le monitorage des paramètres psychologiques et une intervention adaptée aux caractéristiques des adolescents, le présent article montre clairement la nécessité d’intégrer la composante psychologique de la surcharge dans tout suivi médico-sportif des jeunes talents sportifs/artistes. Cette mesure peut contribuer à diminuer l’inévitable conflit d’intérêt qui continue de ca­ractériser la relation entre sport (ou art) et études, des réalités qui restent, du moins en Suisse et malgré les récentes évolutions des structures sport-études, encore trop éloignées l’une de l’autre.

Adresse de correspondance

Dr Mattia Piffaretti
Psychologue spécialiste en psychologie du sport FSP
AC&T Sport Consulting
Rue Caroline 3, 1003 Lausanne
tél. +41 79 417 95 64; fax +41 21 647 32 28
e-mail: mattia@actsport.ch

Références

  1. Greenspan, M., & Andersen, M.B. (1995). Providing psychological services to student athletes: a developmental psychology model. In S.E. Murphy (Ed.), Sport Psychology Interventions. Champaign, IL: Human Kinetics.
  2. DiFiori, J.P., Benjamin, H.J., Brenner, J., Gregory, A., Jayanthi, N., & Landry, G.L. (2014). Overuse Injuries and Burnout in Youth Sports: A Position Statement from the American Medical Society for Sports Medicine. Clinical Journal of Sport Medicine, 24, 3–20.
  3. Chartrand, J.M., & Lent, R. W. (1987). Sports counseling: Enhancing the development of the student-athlete. Journal of Counseling and Development, 66, 164–167.
  4. Coackley, J. (1992). Burnout among adolescent athletes: A personal ­failure or social problem ? Sociology of Sport Journal, 9, 271–285.
  5. Bussmann, G. (1997). Wie verhindern wir Dropouts? Leistungsport, 6, 49–51.
  6. CONI / Nomisma (2002). L’abbandono giovanile dell’attività agonistica nella provincia di Bologna. http://www.bologniadi.it/agonistica/00_intro.html
  7. Gould, D. (1993). Intensive sport participation and the prebubescent athlete: competitive stress and burnout. In: B.R. Cahill & A.J. Pearl (Eds.), Intensive participation in children’s sports. Champaign IL: ­Human Kinetics, pp. 19–36.
  8. Piffaretti, M. (1997). Le phénomène du burnout chez les jeunes sportifs: étude empirique dans les classes «sport et danse» du Canton de Genève. Macolin, 9, 14–16.
  9. Piffaretti, M. (2006a). Abandon du sport de compétition chez les jeunes. Etude longitudinale dans les Classes «sport et danse» du canton de Genève. Bibliothèque Cantonale Universitaire / sport.
  10. Deci, E.L. & Ryan, R.M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. New York, Plenum.
  11. McNeill, M.C., & John Wang, C.K. (2005). Psychological profiles of elite school sports players in Singapore. Psychology of sport and exercise, 6 (1), 117–128.
  12. Smith, R. (1986). Toward a cognitive-affective model of athletic burnout. Journal of Sport Psychology, 8, 36–50.
  13. Lemyre, P.N., Roberts, G. & Stray-Gundersen, J. (2007). Motivation, overtraining, and burnout: Can self-determined motivation predict overtraining and burnout in elite athletes? European Journal of Sport Science, 7:2, 115–126.
  14. Gould, D., Tuffey, S., Udry, E., & Loehr, J. (1996). Burnout in competitive junior tennis players: a quantitative psychological assessment. The Sport Psychologist, 10, 332–340.
  15. Smith, R. E.; Smoll, F. L., Van Raalte, J.L. (1996). Psychosocial interventions in youth sport. In Brewer, Britton W. (Eds), Exploring sport and exercise psychology. Washington, DC, US: American Psychological Association, 287–315.
  16. Schnyder, J., & Bizzini, L. (1991). Les classes «sport et danse». Cycle Orientation Parents, 134.
  17. Bizzini, L. (1995). Le conseil psychologique cognitif auprès des jeunes sportifs: Théorie et pratique de l’intervention. Schweizerische Zeitschrift für «Sportmedizin und Sporttraumatologie», 2, 33–38.
  18. Bizzini, L., Piffaretti, M., & Reda, M. (1995). Les interventions cognitives en psychologie du sport. In Hauert, Bizzini, & Brechbühl, Pages choisies de sciences du sport: psychologie – tennis. Etudes et Recherches du GISS, 4.
  19. De Freese, J.D., Smith A. (2013). Teammate social support, burnout, and self-determined motivation in collegiate athletes. Psychology of Sport and Exercise, 14, 258–265.
  20. Rondelli, A., & Robbiani, I. (2011). Le medaglie non crescono sugli alberi. Scuola Ticinese, 303, 15–18.
  21. Piffaretti, M. (2006b). Seine Versprechen aufrechterhalten – Maintenir ses promesses – Mantenere le promesse. Lausanne: AC&T Sport Consulting, en collaboration avec le BASPO et Swiss Olympic.
  22. Eades, A.M. (1993). An investigation of burnout in intercollegiate athletes: the development of the Eades Athlete Burnout Inventory. UC Berkeley, Berkeley, CA 94720.
  23. Martens, R. (1977). Sport competition anxiety test. Champaign, IL: Human Kinetics.
Exit mobile version
Zur Werkzeugleiste springen